La Chine est le pays qui, à date, incarne le mieux le personnage de fiction Big Brother du roman Nineteen Eighty-Four (1984) de l'écrivain anglais Georges Orwell. Dans la société décrite par ce dernier, chaque citoyen est sous la surveillance constante de l’autorité (Big Brother), principalement par des dispositifs (dans les domiciles privés) qui fonctionnent à la fois comme des télévisions, caméras de sécurité et microphones. Ceci rappelle sans cesse au peuple que Big Brother les observe : « Big Brother is watching you ».
De nos jours en effet, la Chine est reconnue comme leader mondial en matière d’adoption des technologies de reconnaissance faciale. Le pays ne cesse de revoir ses capacités de surveillance à la hausse. Alors que le mois de septembre s’achevait, il a dévoilé une caméra de 500 mégapixels aux capacités boostées à l’intelligence artificielle. Mais, ce qu’il faut ajouter est qu’en matière de recherche et développement en matière d’intelligence artificielle, c’est l’un des pays (sinon le pays) qui met le plus de fonds dans la création de startups spécialisées dans la filière. C’est aussi celui qui compte à minima 63 pays dans son carnet d’adresses de clients. La Chine est consciente de la place qu’elle occupe dans ces sphères et actionne les leviers susceptibles de renforcer son emprise à l’échelle globale…
En effet, dans une publication parue il y a peu, le Financial Times fait état de ce qu’il est entré en possession de documents qui montrent que des entreprises chinoises spécialisées dans la filière de la technologie sont dans le processus de rédaction de propositions destinées à façonner les normes mondiales de reconnaissance faciale.
Le fabricant chinois d'équipements de télécommunications ZTE, le fabricant de caméras de sécurité Dahua Technology et l'entreprise publique de télécommunications China Telecom font partie des entreprises qui proposent de nouvelles normes à portée internationale au sein de l'Union internationale des télécommunications (UIT) de l'ONU pour la reconnaissance faciale, la vidéosurveillance, la surveillance urbaine et automobile.
Les projets de normes pour la reconnaissance faciale, qui devraient être achevées d'ici la fin de 2019 prévoient l'obligation de stocker dans une base de données les caractéristiques faciales détectées, notamment la race, la couleur de la peau, le style du visage, les marques de naissance, les cicatrices et autres caractéristiques démographiques.
D’après la publication du Financial Times, les propositions des groupes chinois sont singulières en ceci qu’elles vont au-delà des spécifications techniques pour suggérer des recommandations en matière de politiques liées à la gestion de tels systèmes. C’est l’un des axes sur lesquels les défenseurs des droits de l’Homme émettent le plus de critiques. En effet, les cas d'utilisation suggérés pour la reconnaissance faciale couvrent ceux pour lesquels la Chine a tant fait parler d’elle ces derniers mois : examen de personnes dans les espaces publics par la police avec des lunettes aux capacités renforcées à l’intelligence artificielle, confirmation de la présence des employés au travail et arrestation des criminels, notamment, en comparant « des bases de données de fugitifs avec celles de populations locales. »
C’est une menace pour les libertés individuelles, d’après les groupes de défense des droits de l’Homme. Les développements en cours suggèrent que le terrain des propositions est choisi à dessein.
« Il n' y a pratiquement pas d'experts en matière de protection des droits de l'Homme ou des droits des consommateurs présents aux réunions de l'UIT sur les normes, si bien que bon nombre de technologies qui menacent la vie privée et la liberté d'expression passent sans contestation dans ces espaces », lit-on.
Avec la potentielle adoption de ces propositions par l’UIT, la Chine va renforcer sa présence sur un continent africain sur lequel elle est déjà bien présente (Angola, Ouganda, Zimbabwe, etc.). D’un point de vue technique, la manœuvre permettra de parfaire ses systèmes de reconnaissance faciale avec les données collectées sur le terrain de l’Afrique. À l’échelle globale, elle aura au moins la plupart des pays en développement dans sa gibecière puisque ces derniers sont généralement alignés sur les normes issues de l’UIT.
Ce qu’il faut même souligner est qu’une des propositions de China Mobile et de ZTE est passée comme norme au mois de juin de l’année qui tire à son terme. Cette dernière donnait des précisions sur l’architecture d’un système d’éclairage public intelligent et incluait des additifs liés à l’intégration de capacités de vidéosurveillance en son sein.
À côté des manœuvres de la Chine, il faut dire que plus en plus de pays suivent la Chine sur la voie de l’utilisation de la reconnaissance faciale. Selon un récent rapport de la Fondation Carnegie pour la paix internationale (une organisation non gouvernementale ainsi qu'un cercle de réflexion et d'influence global dédiée au développement de la coopération interétatique et à la promotion des intérêts des États-Unis sur la scène internationale), au moins 75 pays utilisent de façon active des outils d'intelligence artificielle tels que la reconnaissance faciale pour la surveillance de masse. Dans le cas de la France, le pays s’apprête à lancer un programme d’identité numérique par reconnaissance faciale avant la fin de l’année en cours, mais la Quadrature du Net s’oppose au décret, car elle craint une généralisation de l’utilisation de cette technologie en France.
Source : FT (paywall)
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Êtes-vous en accord avec ceux qui pensent que ce n’est qu’une question de temps avant que le modèle chinois de surveillance de masse ne s’impose à l’échelle globale ?
Voir aussi :
Une application mobile prétend pouvoir identifier les investisseurs en capital-risque à l'aide de la reconnaissance faciale
Jeff Bezos : Amazon est en train de rédiger ses propres lois sur la reconnaissance faciale pour les soumettre aux législateurs fédéraux, espérant qu'ils adopteront une grande partie de son projet
L'Inde envisage un énorme programme de reconnaissance faciale comparable à celui de la Chine, opportunité lucrative pour les sociétés de surveillance ou cauchemar pour les défenseurs de la vie privée
Les entreprises chinoises veulent aider à façonner les normes mondiales de reconnaissance faciale
Mais les défenseurs des droits de l'Homme sont d'avis qu'elles menacent les libertés civiles
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Le , par Patrick Ruiz
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