Faut-il faire usage de caméras pour mesurer le taux de port de masque dans les transports dans le cadre de la lutte contre le coronavirus ? C’est une question qui oppose défenseurs des libertés individuelles et gouvernements. Celui de France vient de prendre position avec la publication d’un décret qui autorise le recours à la vidéo intelligente pour mesurer le taux de port des masques dans les transports. L’équation de l’équilibre entre droits individuels et intérêt général est de nouveau sur la table.
Le nouveau décret permet aux exploitants des transports publics collectifs d’utiliser des caméras de « vidéoprotection » (caméras de surveillance installées dans l’espace public) aux fins : d’évaluation statistique dans le respect des obligations de port du masque ; d’adaptation de leurs actions d'information et de sensibilisation du public.
La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) n’a pas manqué de formuler ses craintes en lien avec ledit décret : « la mise en œuvre à grande échelle de dispositifs dits de «vidéo intelligente» dans l’espace public pose d’importantes questions en termes de protection de la vie privée. L’espace public est un lieu où s’exercent de nombreuses libertés individuelles (droit à la vie privée, à la protection des données à caractère personnel, liberté d’aller et venir, liberté d’expression, etc.). La préservation de l’anonymat dans l’espace public est une dimension essentielle pour l’exercice de ces libertés; la captation et l’analyse systématiques de l’image des personnes dans ces espaces sont incontestablement porteuses de risques pour leurs droits et libertés fondamentaux. »
Le texte pour sa part se veut rassurant au sujet des inquiétudes formulées par la CNIL : « Ces systèmes de vidéoprotection intègrent un traitement logiciel spécifique permettant l'analyse en temps réel du flux vidéo conformément au septième alinéa du II. Lorsqu'ils recourent à de tels dispositifs à cette fin, les exploitants et les gestionnaires s'assurent que les traitements de données sont mis en œuvre dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée susvisée. Dans le cadre de ce traitement, les images collectées exclusivement par des caméras fixes situées dans les véhicules ou les espaces accessibles au public affectés au transport public de voyageurs ne font l'objet ni de stockage ni de transmission à des tiers. Ces images sont instantanément transformées en données anonymes afin d'établir le pourcentage de personnes s'acquittant de l'obligation de port d'un masque de protection. Le produit du traitement, qui rassemble l'ensemble des données issues d'une même station ou gare et ne peut être actualisé dans une période inférieure à vingt minutes, ne porte que sur le nombre de personnes détectées et le pourcentage de ces personnes qui portent un masque, à l'exclusion de toute autre donnée permettant de classer ou de réidentifier les personnes. »
« En application du paragraphe 1 de l'article 23 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 susvisé, les droits d'accès, de rectification, d'opposition ainsi que les droits à l'effacement et à la limitation prévus aux articles 15, 16, 17, 18 et 21 de ce même règlement ne s'appliquent pas à ce traitement », peut-on lire.
Au mois de mars de l’année dernière, la question de savoir s’il faut pister les smartphones des individus pour s’assurer qu’ils s’isolent comme recommandé par les autorités s’était également posée ; un autre casse-tête dans le cadre de la recherche de l’équilibre entre droits individuels et intérêt général. Des opérateurs de téléphonie mobile de pays comme l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche s’étaient pliés au jeu de la coopération en partageant les données de localisation avec les autorités sanitaires. Dans le cadre d’un partenariat avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Orange avait envisagé l’utilisation des données de géolocalisation pour modéliser et gérer la propagation de la pandémie.
Taïwan avait pour ça bloqué l’accès à son territoire aux citoyens chinois, puis avait mis en place un système de quarantaine ciblant ceux et celles qui s’étaient rendus dans les provinces chinoises touchées. À Taïwan, les porteurs potentiels du virus s’étaient vus dotés d'un smartphone équipé d'un GPS et d’une application de pistage. Ces dispositifs faisaient office de « ;barrière électronique ;» et permettaient de garantir que les personnes en quarantaine restent chez elles en prévenant les forces de l’ordre si ces dernières sortent de quarantaine, s’éloignent de leur domicile ou éteignent leur téléphone. La police locale appelait jusqu’à deux fois par jour pour s’assurer que les personnes en isolement se trouvent là où ils devraient être.
À Hong Kong, les citoyens de retour au pays étaient accueillis par des fonctionnaires de police qui leur posent des bracelets électroniques au poignet. Ces derniers sont liés à une application que les concernés téléchargent avant d’entrer en quarantaine pendant 14 jours. Ainsi, les autorités ont en temps réel la maîtrise de leur situation géographique.
Ce sont des exemples pour illustrer le dilemme auquel l’humanité fait face. Nous avons une urgence terrifiante sur les bras. Il existe des technologies qui pourraient être vraiment utiles pour mesurer en temps réel l'efficacité (ou non) des politiques publiques. Mais elles sont si intrusives qu'en temps normal, nous hésiterions beaucoup à les adopter. Toutefois, les temps actuels ne sont pas normaux, ce qui fait qu’elles vont continuer de faire l’objet d’adoption, ce, pour la durée de la période de crise. C’est l’après qu’il faudra ensuite envisager. Avec les événements du 11 septembre, les USA sont passés par une situation (d’urgence) similaire. Cette urgence a conduit le pays, pris de panique, à mettre en place l'État de surveillance qu'Edward Snowden a fini par exposer en 2013. Une fois qu'un gouvernement s'engage dans ce genre de choses, il semble qu'il n'y ait pas de retour en arrière.
Sources : décret, CNIL (pièce jointe)
Et vous ?
Droits individuels vs intérêt général : lequel des aspects devrait avoir la primauté dans les décisions des gouvernements en cette période de pandémie mondiale ?
Est-il selon vous possible de trouver un équilibre entre les deux ?
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France : un décret autorise l'utilisation de caméras intelligentes pour mesurer le taux de port de masque dans les transports
Dans le cadre de la lutte contre le coronavirus
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Le , par Patrick Ruiz
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