La loi de l'UE sur l'intelligence artificielle (AI Act) a été initialement proposée en avril 2021 pour faire face à l'influence grandissante de l'IA dans notre vie quotidienne. Les règles régiraient les applications de l'IA en fonction des risques perçus, et seraient effectivement les premières lois axées sur l'IA introduites par un organisme de réglementation majeur. Le Parlement européen devrait voter sur une version préliminaire de la loi sur l'IA dans les mois à venir, et en fonction des discussions et des débats qui suivront, elle pourrait être adoptée d'ici la fin de 2023. Cependant, tout le monde n'est pas enthousiasmé par les règles qu'introduirait cette loi.
C'est le cas du PDG de GitHub, Thomas Dohmke. Pour lui, les développeurs de logiciels libres devraient être exemptés de la nouvelle réglementation de l'UE sur l'IA. « L'open source constitue le fondement de l'IA en Europe. Les États-Unis et la Chine ne sont pas obligés de tout gagner », a-t-il déclaré sur la scène du sommet politique de l'UE sur l'open source à Bruxelles. En effet, l'open source et l'IA sont intrinsèquement liés, étant donné que la collaboration et le partage des données sont essentiels au développement des systèmes d'IA. Ainsi, les critiques de la loi sur l'IA craignent qu'elle nuise au développement de l'IA et entrave les progrès dans le domaine.
Aussi bien intentionnée que soit la loi de l'UE sur l'IA, Dohmke et d'autres détracteurs estiment qu'elle pourrait probablement créer une responsabilité juridique pour les systèmes d'IA à usage général, et conférerait davantage de pouvoir et de contrôle aux Big Tech, étant donné que les développeurs indépendants de logiciels libres n'ont pas les ressources nécessaires pour faire face aux querelles juridiques. Cependant, pourquoi GitHub - une société américaine qui pèse environ 7,5 milliards de dollars appartenant au géant des logiciels Microsoft - s'inquiète-t-elle des réglementations en vigueur de l'autre côté de l'Atlantique ? Les raisons sont multiples.
Les logiciels libres sont par nature distribués, et GitHub, qui a récemment annoncé avoir dépassé les 100 millions d'utilisateurs, s'appuie sur des développeurs du monde entier. Un rapport publié la semaine dernière par la société de capital-risque Runa Capital indique que 58 % des startups du secteur de l'open source qui connaissent la plus forte croissance sont basées en dehors des États-Unis, notamment en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Il est important de rappeler que le Royaume-Uni n'est pas régi par la réglementation européenne. Ainsi, les analystes estiment qu'une fois votée, la loi de l'UE sur l'IA pourrait avoir les mêmes effets que le RGPD.
Avec son RGPD (le règlement GDPR sur la protection des données), l'Europe s'est imposée comme une force motrice en matière de réglementation des technologies. En d'autres termes, ce qui se passe en Europe peut se répercuter dans d'autres pays et devenir rapidement une norme mondiale. Entrée en vigueur dans l'UE en mai 2018, le RGPD sert de guide et de modèle dans plusieurs juridictions dans le monde. Il a également inspiré d'autres règlements typiques comme la loi californienne sur la protection des données personnelles du consommateur (California Consumer Privacy Act, CCPA). Plusieurs projets de loi de ce type sont à l'étude dans le monde.
« La loi sur l'IA est tellement cruciale. Cette politique pourrait bien établir le précédent sur la façon dont le monde réglemente l'IA. Elle est d'une importance capitale. Elle est importante pour le leadership de l'Europe dans le domaine technologique, et pour l'avenir de l'économie européenne elle-même. Elle doit être juste et équilibré pour la communauté open source », a déclaré Dohmke sur scène. Toutefois, tout le monde n'est pas d'accord avec le point de vue de Dohmke. Certains estiment que la loi de l'UE sur l'IA devrait s'appliquer à tous, car elle vise à créer un cadre "idéal" pour le développement de systèmes d'IA "éthiques et responsables".
« Si l'open source constitue le fondement de l'IA en Europe, il devrait être la cible première de la loi européenne sur l'IA, et non en être exempté. Apparemment, l'avis de Dohmke est que les réglementations sont destinées à choisir les gagnants et les perdants, et non à être un avantage pour la société. Et qu'y a-t-il de mal à rendre des comptes ? La dernière chose dont on a besoin est d'exempter certains développeurs afin qu'ils puissent concourir plus facilement tout en n'étant pas responsables de ce que leur négligence pourrait causer », a écrit un critique en réponse aux commentaires du PDG de GitHub sur le projet de loi de l'UE sur l'IA.
Selon les analystes, Microsoft et GitHub ont tout à gagner d'un paysage open source fertile, comme en témoigne leur outil Copilot, potentiellement lucratif, qui aide les développeurs à coder en utilisant une technologie formée sur le travail des développeurs open source. Toutefois, Microsoft, GitHub et le laboratoire de recherche en IA OpenAI, dans lequel Microsoft a fortement investi, font l'objet d'un recours collectif pour leurs activités. En outre, le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a déclaré que les applications transformatrices et de grande envergure de ChatGPT soulignaient la nécessité d'une réglementation solide.
« Comme l'a montré ChatGPT, les solutions d'IA peuvent offrir de grandes opportunités aux entreprises et aux citoyens, mais peuvent également présenter des risques. C'est pourquoi nous avons besoin d'un cadre réglementaire solide pour garantir une IA digne de confiance basée sur des données de haute qualité », a déclaré Thierry Breton à Reuters lors d'une récente interview. Selon les analystes, à peu près tout le monde de l'IA tel que nous le connaissons aujourd'hui a été construit sur une base open source. Ainsi, quiconque a un intérêt à commercialiser l'IA a besoin du statu quo open source pour continuer à développer ses systèmes.
Les grandes entreprises technologiques, y compris Google et Microsoft, reconnaissent qu'elles pourraient avoir plus de batailles juridiques sur les bras en raison de la réglementation imminente de l'IA, mais à tout le moins, elles ne veulent pas que les développeurs open source soient dissuadés de leur travail. Dohmke a déclaré que la loi sur l'IA peut apporter "les avantages de l'IA conformément aux valeurs européennes et aux droits fondamentaux". « C'est pourquoi je pense que les développeurs open source devraient être exemptés de la loi sur l'IA. Parce qu'en fin de compte, cela revient à des personnes », a-t-il déclaré.
« La communauté open source n'est pas une communauté d'entités. C'est une communauté de personnes et la charge de la conformité devrait incomber aux entités, aux entreprises qui livrent des produits. Les développeurs de logiciels libres sont souvent des bénévoles, beaucoup d'entre eux ont deux emplois. Ce sont aussi bien des amateurs que des scientifiques, des universitaires que des médecins, des professeurs que des étudiants, et ils n'ont généralement pas l'intention de tirer profit de leurs contributions. Ils n'ont certainement pas de gros budgets ni leur propre département de conformité », a ajouté Dohmke.
Source : Thomas Dohmke, PDG de GitHub
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