Le système automatisé Oculus a été mis en place par le Centre principal russe des fréquences radio (General Radio Frequency Centre - GRFC), une entité supervisée par l'agence fédérale russe Roskomnadzor, qui est chargée de supervision des communications, des technologies de l'information et des médias de masse. L'agence de presse Interfax a rapporté qu'Oculus est capable de lire du texte et de reconnaître des scènes illégales dans des photos et des vidéos publiées sur le Web, en analysant plus de 200 000 images par jour à raison d'environ trois secondes par image. Oculus est conçu pour détecter automatiquement les infractions aux lois russes.
Ces dernières comprennent les contenus extrémistes, les appels aux rassemblements de masse non autorisés ou au suicide, les contenus promouvant des stupéfiants, la propagande LGBT, etc. Pour se faire une idée, avant la mise en place du système, chaque employé avait l'habitude d'examiner plus de 200 contenus entre images et vidéos par jour. Comme souligné ci-dessus, Oculus pourra analyser quelque chose comme 200 000 images à la place, soit une moyenne de trois secondes par image ou vidéo. Le Kremlin aurait investi 57,7 millions de roubles (environ 783 000 dollars) pour développer le système, qui a démarré en septembre 2021.
Celui-ci aurait ensuite été testé pour la première fois en décembre de l'année dernière et il semble désormais fonctionner à à plein régime. Toutefois, les développeurs continueront à améliorer ses fonctionnalités jusqu'en 2025. En novembre dernier, Cyberpartisans (un groupe de hackers biélorusses) a donné un aperçu des tactiques de censure de la Russie. Le groupe a réussi à pirater un réseau interne utilisé par le GRFC et à télécharger plus de deux téraoctets de documents sensibles. La fuite a montré que les autorités russes entraînaient Oculus à trouver des représentations indésirables de Poutine sur le Web, entre autres objectifs de l'outil d'IA.
Le fait que le Kremlin exerce un contrôle strict sur ce que les citoyens peuvent consulter et partager en ligne n'est pas nouveau. Roskomnadzor remplit depuis 2012 une liste noire centralisée avec des URL, des noms de domaine et des adresses IP jugés illégaux. Cependant, au cours de l'année dernière, les contenus violant les lois russes ont connu une forte augmentation. Ce n'est pas non plus très surprenant, car toute mention du conflit en Ukraine en tant que guerre est en fait interdite par le Kremlin. Le pays a adopté en 2022 une loi qui punit de plusieurs millions de roubles toute mention du conflit en tant que guerre, voire un emprisonnement.
Le Parlement russe a également voté en mars de l'année dernière une loi criminalisant la diffusion intentionnelle de ce que la Russie considère comme des informations « fausses ». La loi prévoit des amendes ou des peines de prison pour la diffusion de "fausses informations" sur l'armée, ainsi que des amendes pour les personnes qui appellent publiquement à des sanctions contre la Russie. Les tribunaux prononceront les peines les plus sévères pour les fausses nouvelles qui pourraient entraîner des conséquences graves. Les médias qui enfreignent la loi et qui refusent de se conformer aux jugements sont tout simplement bannis ou bloqués en Russie.
Par exemple, quelques semaines après l'entrée des troupes russes en Ukraine, le tribunal de Moscou a condamné la Fondation Wikimedia à une amende de 5 millions de roubles (environ 84 000 euros) pour une désinformation observée dans sept articles en russe, dont l'invasion russe de l'Ukraine (2022), les éventuels crimes de guerre de la Russie en Ukraine, le bombardement de l'hôpital de Marioupol et le massacre à Bucha. Le tribunal de Moscou a affirmé que la fondation a violé les lois russes sur la désinformation dans les articles sur l'invasion de l'Ukraine. Cependant, la fondation a dénoncé cette décision et a lancé une procédure d'appel.
« Cette décision implique que des informations bien documentées et vérifiées sur Wikipédia qui sont incompatibles avec les comptes du gouvernement russe constituent de la désinformation. Le gouvernement russe cible des informations qui sont vitales pour la vie des gens en temps de crise. Nous exhortons le tribunal à reconsidérer en faveur des droits de chacun à l'accès au savoir et à la liberté d'expression », a déclaré Stephen LaPorte, avocat général associé à la Fondation Wikimedia. De son côté, la Fondation Wikimedia elle-même a déclaré qu'elle reste engagée à défendre le droit de chacun d'accéder librement et de partager les connaissances.
Une autre loi russe prévoit des amendes pour toute personne ou organisation qui encourage la "propagande LGBT", une mesure qui interdit toute mention publique des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres, etc. Il s'agit de personnes qui suivent ce que la Russie appelle officiellement des modes de vie "non traditionnels". « La dynamique du nombre de violations détectées montre une croissance en avalanche du bourrage pour tous les types d'informations interdites. Tout cela montre l'importance d'une analyse détaillée des attaques d'information dans le contenu graphique et les possibilités de les contrer », a déclaré le GRFC.
Par ailleurs, la Russie teste depuis de nombreuses années une version souveraine de l'Internet appelée Runet. En 2019, Poutine a promulgué la loi Runet qui permet à la Russie de se déconnecter de l’Internet mondial et de la refermer sur son Internet souverain. C’est une espèce de grande muraille numérique à la chinoise. Selon les experts, l’esprit derrière la loi Runet est que les fournisseurs d'accès à Internet russes assurent l'indépendance de l'espace Internet russe (Runet), de sorte à pouvoir déconnecter le pays de l'Internet mondial en cas d'agression étrangère, notamment en cas d'attaques jugées graves dans le cyberespace et d'autres circonstances.
En sus, les entreprises russes de télécommunications sont chargées de gérer les moyens techniques de réacheminement de tout le trafic Internet russe vers des points d'échange approuvés ou gérés par Roskomnadzor. Il incombe à cet organisme, la charge d’inspecter le trafic afin de bloquer les contenus interdits et s'assurera que le trafic entre les utilisateurs russes reste à l'intérieur du pays, et qu’il n’est pas dirigé vers des serveurs à l'étranger, où il pourrait être intercepté. Selon les experts, le Runet devrait accroître la capacité du Kremlin à contrôler le contenu publié en ligne, et donc renforcer son appareil de censure.
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