La plainte, déposée devant le tribunal de district des États-Unis pour le district nord de la Californie, pourrait avoir des implications importantes pour l’avenir de l’art et du droit d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle.
Les entreprises Midjourney et Stability AI ont lancé leurs générateurs d’images au public l’année dernière, et ont attiré plus de 10 millions d’utilisateurs. DeviantArt, une plateforme en ligne pour les artistes numériques, a également intégré la technologie de Stability AI dans son site.
Autrefois réservés à un groupe restreint d'initiés de la technologie, les systèmes d'IA texte-image sont de plus en plus populaires et puissants. Ces outils, qui offrent généralement quelques crédits gratuits avant d'être facturés, peuvent créer toutes sortes d'images avec seulement quelques mots, y compris celles qui évoquent clairement les œuvres de très nombreux artistes (si elles ne semblent pas avoir été créées par le même artiste). Les utilisateurs peuvent désigner ces artistes par des mots tels que « dans le style de » ou « par », accompagnés d'un nom spécifique. Et les utilisations actuelles de ces outils peuvent aller de l'amusement personnel à des cas plus commerciaux. Mais la découverte par des artistes que leur travail est utilisé pour entraîner l'IA soulève une préoccupation fondamentale : leur propre art est effectivement utilisé pour entraîner un programme informatique qui pourrait un jour s'attaquer à leur gagne-pain.
Quiconque génère des images avec des systèmes tels que Stable Diffusion ou DALL-E peut ensuite les vendre, les conditions spécifiques concernant le droit d'auteur et la propriété de ces images varient. « Je ne veux pas du tout participer à la machine qui va dévaloriser ce que je fais », a déclaré Daniel Danger, un illustrateur et graveur qui a appris qu'un certain nombre de ses œuvres avaient été utilisées pour entraîner Stable Diffusion.
Ces résultats sont loin d'être magiques : pour qu'un de ces systèmes puisse ingérer vos mots et produire une image, il doit être entraîné sur des montagnes de données, qui peuvent comprendre des milliards d'images extraites d'Internet, associées à des descriptions écrites.
Les accusations des artistes
Les artistes qui ont intenté le procès affirment que les entreprises d’IA ont utilisé leurs images, ainsi que celles de dizaines de milliers d’autres artistes, sans leur consentement pour entraîner leurs générateurs d’images. Ils soutiennent que cela constitue une violation flagrante de leurs droits de propriété intellectuelle, selon le code américain du droit d’auteur (17 U.S. Code § 106), la loi sur le droit d’auteur numérique (Digital Millennium Copyright Act) et la loi sur la concurrence déloyale.
Ils affirment également que les générateurs d’images produisent des œuvres dérivées, c’est-à-dire des œuvres qui incorporent suffisamment d’éléments de l’œuvre originale pour qu’il soit évident qu’elles en découlent. Ils estiment que ces œuvres dérivées portent atteinte à leur droit moral et à leur réputation, et qu’elles créent une concurrence déloyale sur le marché de l’art.
En outre, ils accusent les entreprises d’IA d’avoir permis aux utilisateurs de créer ce qu’ils appellent des « faux », c’est-à-dire des imitations du style ou de la signature d’un artiste. Par exemple, après la mort de l’illustrateur coréen Kim Jung Gi, un développeur logiciel qui se fait appeler 5you a utilisé la Stable Diffusion pour créer un modèle qui pouvait produire des images dans le style de Kim. D’autres artistes ont rapporté des exemples similaires d’utilisateurs créant des œuvres dans leur style.
Ces images sont générées par IA
Les arguments juridiques invoqués par les entreprises d'IA
Les entreprises d’IA ont demandé au tribunal de rejeter le procès des artistes, en invoquant plusieurs arguments juridiques.
Tout d’abord, elles affirment que l’utilisation des images des artistes pour entraîner leurs générateurs d’images relève de la doctrine du « fair use » (usage loyal), qui crée des exceptions au droit d’auteur pour des fins telles que la critique, le commentaire, le reportage, l’enseignement, la recherche ou la production créative « transformatrice ».
Elles soutiennent que leurs générateurs d’images ont un but éducatif et scientifique, qu’ils n’affectent pas le marché de l’art et qu’ils ne reproduisent pas les images des artistes de manière substantiellement similaire. Elles invoquent également le fait que leurs organisations sont basées en dehors des États-Unis (Stability AI au Royaume-Uni et Midjourney en Allemagne) et que le droit d’auteur américain ne s’applique pas à leurs activités.
Ensuite, elles affirment que les images générées par l’IA ne sont pas des œuvres dérivées, mais des œuvres originales et indépendantes. Elles prétendent que leurs générateurs d’images ne copient pas le style ou la signature des artistes, mais qu’ils créent des images nouvelles et uniques à partir de textes aléatoires.
Elles font valoir que le style artistique n’est pas protégé par le droit d’auteur, mais qu’il relève du domaine public. Elles ajoutent que leurs générateurs d’images ne violent pas le droit moral des artistes, car ils ne portent pas atteinte à leur intégrité ou à leur réputation.
Enfin, elles affirment que les artistes n’ont pas qualité pour agir en justice, car ils n’ont pas identifié les images spécifiques qui auraient été utilisées pour entraîner leurs générateurs d’images ni celles qui auraient été produites par l’IA. Elles estiment que les artistes n’ont pas démontré qu’ils ont subi un préjudice réel ou imminent du fait de leurs générateurs d’images.
Quelles sont les conséquences potentielles du procès ?
Le procès des artistes contre les entreprises d’IA pourrait avoir des conséquences importantes pour l’avenir de l’art et du droit d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle.
Si les artistes obtiennent gain de cause, ils pourraient obtenir des dommages-intérêts et une injonction interdisant aux entreprises d’IA d’utiliser leurs images sans leur autorisation. Ils pourraient également créer un précédent juridique qui limiterait l’utilisation des œuvres protégées par le droit d’auteur pour entraîner ou générer des œuvres basées sur l’IA.
Cela pourrait affecter non seulement les générateurs d’images, mais aussi d’autres types de générateurs basés sur l’IA, comme ceux qui produisent du texte, du son ou du code. Cela pourrait également inciter les créateurs à protéger davantage leurs œuvres en ligne ou à demander une compensation pour leur utilisation par les entreprises d’IA.
Si les entreprises d’IA obtiennent gain de cause, elles pourraient continuer à utiliser les images des artistes sans leur consentement ni rémunération. Elles pourraient également créer un précédent juridique qui favoriserait le “fair use” et la liberté de création à l’aide de l’IA.
Cela pourrait encourager le développement et la diffusion des générateurs d’images et d’autres outils basés sur l’IA, qui offrent de nouvelles possibilités de création et d’expression. Cela pourrait également inciter les créateurs à s’adapter aux changements technologiques et à explorer de nouvelles formes d’art numérique.
Ces images sont générées par IA
Des opinions divergentes sur le sujet
Le procès des artistes contre les entreprises d’IA suscite des opinions divergentes parmi les experts du droit et de l’art.
Certains experts soutiennent la position des artistes et estiment que les entreprises d’IA ont violé leurs droits d’auteur en utilisant leurs images sans leur consentement ni rémunération. Ils considèrent que les générateurs d’images basés sur l’IA ne sont pas des outils créatifs, mais des outils de copie et de plagiat. Ils craignent que ces outils ne nuisent à la valeur et à la singularité de l’art, et qu’ils ne dévalorisent le travail et le talent des artistes.
D’autres experts soutiennent la position des entreprises d’IA et estiment qu’elles ont respecté le droit d’auteur en utilisant les images des artistes dans le cadre du “fair use”. Ils considèrent que les générateurs d’images basés sur l’IA sont des outils innovants et transformatifs, qui ouvrent de nouvelles possibilités de création et d’expression. Ils pensent que ces outils ne menacent pas l’art, mais qu’ils le renouvellent et le diversifient.
Le procès des artistes contre les entreprises d’IA n’est pas le premier ni le dernier à aborder la question du droit d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle. D’autres procès similaires ont été intentés ou sont en cours dans différents pays, comme celui de Getty Images contre Stability AI au Royaume-Uni ou celui de Microsoft, GitHub et OpenAI aux États-Unis.
Ces procès soulèvent des défis juridiques et éthiques complexes, qui nécessitent une réflexion approfondie et une mise à jour des lois existantes. Ils interrogent également la nature et la finalité de l’art, ainsi que le rôle et la responsabilité des artistes et des entreprises d’IA dans la société.
L'Europe, pour sa part, est bien décidée à réguler le secteur. Il y a quelques jours, les législateurs ont voté en faveur de la loi de l'UE sur l'intelligence artificielle (AI Act), initialement proposée en avril 2021 pour faire face à l'influence grandissante de l'IA dans notre vie quotidienne. Certains regrettent que l'UE n'aborde pas les licenciements massifs envisagés par de nombreux experts. C'est le cas de Marsupial qui déclare :
Concernant les droits fondamentaux et la dignité humaine, rien dans cette loi ne parle de l'accès au travail en concurrence avec l'IA. Je crois qu'il s'agit d'une des principales préoccupations du peuple que l'accès à l'emploi, ou sa conservation, et la peur du grand remplacement. Peut-être un revenu universel en Europe ?
Et vous ?
Quelle est votre opinion sur le procès des artistes contre les entreprises d’IA ? Pensez-vous que les artistes ont raison de défendre leurs droits d’auteur ou que les entreprises d’IA ont le droit d’utiliser leurs images pour créer de nouvelles œuvres ?
Quelle est votre définition de l’art ? Pensez-vous que les images générées par l’IA sont des œuvres d’art originales et indépendantes ou des copies et des plagiat des œuvres des artistes ?
Quels sont les avantages et les inconvénients des générateurs d’images basés sur l’IA pour la création et l’expression artistiques ? Pensez-vous que ces outils favorisent l’innovation et la diversité ou qu’ils nuisent à la valeur et à la singularité de l’art ?
D'ailleurs seriez-vous disposé à acheter une image créée par l'IA auprès d'un individu si vous pouviez simplement taper vous même les requêtes pour obtenir la même ?