L’intelligence artificielle (IA) est en pleine effervescence : une start-up qui n’a que quelques semaines d’existence a levé 105 millions d’euros lors d’un tour de table de financement de démarrage pour concurrencer OpenAI dans la construction, l’entraînement et l’application de grands modèles de langage et d’IA générative.
Pour mettre de la perspective, bien qu'il s'agit d'un record pour une start-up d'IA française, il faut rappeler que cette levée de fonds est une goutte d'eau dans les milliards de dollars injectés par Microsoft dans OpenAI.
Si Mistral AI, basée à Paris, a brusquement enthousiasmé des investisseurs, en pleine période de gel des levées de fonds pour la plupart des start-up, c'est sans doute parce que la société a été cofondée par trois chercheurs français de l'IA passés par les GAFA américains.
En effet, son PDG, Arthur Mensch, 30 ans, expert des modèles de langage, vient de passer près de trois ans au sein de DeepMind, le laboratoire d'IA de Google. Les deux autres cofondateurs viennent de Meta (Facebook) : Guillaume Lample est l'un des créateurs du modèle de langage LLaMA dévoilé par Meta en février et Timothée Lacroix était lui aussi chercheur chez Meta.
La startup va se concentrer sur des solutions open source et ciblera les entreprises pour créer ce que le PDG Arthur Mensch considère comme le plus grand défi du domaine : « Rendre l’IA utile ». Elle prévoit de lancer ses premiers modèles pour l’IA générative basée sur le texte en 2024.
Lightspeed Venture Partners est le leader de ce tour, avec Redpoint, Index Ventures, Xavier Niel, JCDecaux Holding, Rodolphe Saadé et Motier Ventures en France, La Famiglia et Headline en Allemagne, Exor Ventures en Italie, Sofina en Belgique, et First Minute Capital et LocalGlobe au Royaume-Uni qui participent également. Mistral AI note que la banque d’investissement française Bpifrance et l’ancien PDG de Google Eric Schmidt sont également actionnaires. Des sources proches de la société confirment que les 105 millions d’euros levés valorisent Mistral AI à 240 millions d’euros. À noter que c’est le même chiffre qui circulait il y a un mois dans la presse spécialisée lorsque les gens ont commencé à parler de la société.
Paris est traditionnellement à la traîne de New York, de la Californie et de Londres en tant que centre technologique, mais la collecte de fonds de Mistral AI a été saluée par le ministre français délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, Jean-Noël Barrot, alors que Paris vise à redorer son blason en tant que centre technologique mondial.
« La France a toutes les cartes pour faire émerger des champions de l'intelligence artificielle. Bravo à la startup Mistral AI qui lève 105M€ seulement un mois après sa création : un record ! » a écrit Barrot sur Twitter.
Guillaume Lample, Arthur Mensch et Timothée Lacroix, les cofondateurs de Mistral AI
L'open source, une opportunité pour faire des affaires en IA
Mensch et ses cofondateurs Timothée Lacroix et Guillaume Lample ont tous la trentaine et se connaissent depuis l’école, où ils étudiaient tous dans le domaine de l’intelligence artificielle. Mensch travaillait chez DeepMind à Paris, et Lacroix et Lample chez Meta ; et Mensch a déclaré que c’est l’année dernière qu’ils ont commencé à discuter de la direction qu’ils voyaient prendre le développement de l’IA.
« Nous avons vu la technologie vraiment commencer à s’accélérer l’année dernière », a-t-il déclaré dans une interview, probablement en référence aux progrès réalisés par OpenAI avec son modèle GPT, qui a été un coup de fouet pour beaucoup de gens dans le domaine de l’IA et du monde de la technologie en général. Mais les liens entre OpenAI et open source ne se limitent plus qu'à la mention “open” dans son nom. D'ailleurs, Elon Musk a tweeté en février « OpenAI a été créé comme open source (c'est pourquoi je l'ai nommée "Open" AI), une société à but non lucratif pour servir de contrepoids à Google, mais maintenant elle est devenue une société à source fermée et à profit maximum contrôlée de manière efficace par Microsoft ».
Mensch, Lacroix et Lample ont estimé qu’une approche propriétaire était en train de s’imposer comme la norme, et ils ont vu une opportunité de faire les choses différemment : « L’open source est une partie essentielle de notre ADN », a souligné Mensch. Il est trop tôt pour parler de ce que Mistral fait ou fera, mais d’après ce que Mensch a dit, le plan est de construire des modèles en utilisant uniquement des données publiques disponibles pour éviter les problèmes juridiques que certains ont rencontrés avec les données d’entraînement, a-t-il dit ; les utilisateurs pourront également contribuer avec leurs propres jeux de données.
Une alternative à OpenAI
Mistral se positionne comme un concurrent direct d’OpenAI, qui a été fondé en 2015 par un groupe d’entrepreneurs et d’investisseurs du secteur technologique, dont Elon Musk et Peter Thiel. OpenAI s’est fait connaître pour ses recherches innovantes sur l’IA générative, notamment son modèle GPT-3 qui peut produire du texte cohérent à partir d’un simple mot-clé ou d’une phrase. OpenAI a également lancé une plateforme commerciale appelée OpenAI Codex, qui permet aux développeurs d’utiliser l’IA pour créer des applications, des sites web et des jeux.
Mistral veut offrir une alternative à OpenAI, en proposant des modèles d’IA générative plus accessibles, plus éthiques et plus personnalisables. Mensch a déclaré que Mistral vise à créer une « IA démocratique », qui ne soit pas contrôlée par quelques acteurs dominants, mais qui soit ouverte à la collaboration et à l’innovation de la communauté. Il a également souligné que Mistral s’engage à respecter les principes de l’IA responsable, en veillant à ce que ses modèles soient transparents, équitables et respectueux de la vie privée.
Mistral compte utiliser les fonds levés pour recruter des talents, développer sa technologie et construire son infrastructure. La start-up prévoit d’embaucher une centaine de personnes d’ici la fin de l’année, dont des chercheurs, des ingénieurs et des commerciaux. Elle envisage également de s’étendre à l’international, notamment aux États-Unis et en Asie.
Mistral espère que son approche open source et centrée sur l’utilisateur lui permettra de se différencier sur le marché de l’IA générative, qui devrait connaître une forte croissance dans les années à venir. Selon une étude de MarketsandMarkets, le marché mondial de l’IA générative devrait passer de 3,5 milliards de dollars en 2021 à 24,1 milliards de dollars en 2026, soit un taux de croissance annuel composé de 47,1 %.
D'autres startups européennes à l'assaut de l'IA générative
Mistral n’est pas la seule start-up européenne à se lancer dans le domaine de l’IA générative. En avril, la société britannique Aleph Alpha a levé 27 millions d’euros pour développer son propre modèle de langage basé sur le GPT-3. En février, la société allemande Deepset a levé 5 millions d’euros pour créer une plateforme d’IA conversationnelle basée sur le modèle BERT de Google. Et en janvier, la société française ReciTAL a levé 3,5 millions d’euros pour proposer des solutions d’analyse et de génération de texte basées sur l’IA.
Mistral espère se démarquer par la qualité et la diversité de ses modèles, ainsi que par sa capacité à répondre aux besoins spécifiques de ses clients. Mensch a déclaré que Mistral vise à créer des modèles capables de gérer non seulement le texte, mais aussi les images, les sons et les vidéos. Il a également affirmé que Mistral sera en mesure de fournir des modèles adaptés à différents domaines, langues et cultures.
« Nous voulons créer une IA qui soit utile pour tous les cas d’usage, pas seulement pour quelques-uns », a-t-il dit. « Nous voulons créer une IA qui soit capable de comprendre le monde et de le rendre meilleur ».
Des milliards de dollars versés dans les startups IA depuis le succès fulgurant de ChatGPT
Selon un rapport du cabinet CB Insights, plus de 200 startups utilisant ChatGPT ont levé plus de 10 milliards de dollars au cours des six derniers mois, sans même avoir de plan d’affaires clair ou de modèle économique viable. Ces startups se basent sur la promesse que ChatGPT peut résoudre n’importe quel problème ou fournir n’importe quel service en utilisant le langage naturel comme interface. Par exemple, certaines startups proposent d’utiliser ChatGPT pour créer des assistants virtuels personnalisés, des rédacteurs automatiques de contenu, des traducteurs multilingues, des tuteurs en ligne, des conseillers financiers ou juridiques, des générateurs de slogans publicitaires ou de noms de marque, etc.
Les analystes de la société de recherche PitchBook prédisent que les investissements en capital-risque dans les entreprises d'IA générative seront facilement plusieurs fois supérieurs au niveau de 4,5 milliards de dollars de l'année dernière. Cela est dû en partie à l'investissement de 10 milliards de dollars de Microsoft en janvier dans OpenAI, la startup derrière le très populaire bot ChatGPT. En comparaison, ces investissements ont totalisé 408 millions de dollars en 2018, l'année où OpenAI a publié la version initiale du modèle de langage qui alimente ChatGPT.
Les entrepreneurs et leurs bailleurs de fonds espèrent que l'IA générative changera les activités commerciales de la production de films au service client en passant par la livraison d'épiceries. PitchBook estime que le marché de ces applications d'IA dans la seule technologie d'entreprise passera à 98 milliards de dollars en 2026, contre près de 43 milliards de dollars cette année.
Cependant, comme pour la récente vague d'investissements dans les startups, les investisseurs se lancent souvent dans les startups de l'IA, même lorsqu'il n'est pas clair comment elles réaliseront des bénéfices, d'autant plus que la puissance de calcul nécessaire pour former les services d'IA peut parfois atteindre des dizaines de millions de dollars par an ou plus. L'afflux soudain de capitaux encourage également de nombreux chercheurs en IA, certains sans expérience en gestion ou en exploitation, à créer leur propre entreprise, ce qui renforce la concurrence.
« C'est indéniablement un point d'inflexion majeur, et de grands produits et entreprises vont être construits », a déclaré Matt Turck, un investisseur spécialisé dans l'IA chez FirstMark, une société de capital-risque basée à New York. Mais « comme dans les cycles de battage médiatique précédents, beaucoup de choses ne se termineront pas bien. Le marché ne peut pas soutenir, tout d'un coup, un million d'entreprises différentes avec des idées à moitié pensées. C'est comme la ruée vers l'or ».
Source : Mistral AI
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Voir aussi :
L'essor de l'IA pourrait révéler la stupidité naturelle des investisseurs, L'IA serait un boom technologique aux conséquences imprévisibles, une révolution à double tranchant pour les marchés