Un financement de 500 millions d'euros pour les startups françaises d'IA
Le président français Emmanuel Macron était présent à l'ouverture du salon Viva Technology (VivaTech) de Paris le 14 juin et a répondu à des questions sur la stratégie française en matière d'IA, un domaine à forte compétitivité. D'emblée, Emmanuel Macron a déclaré que la France est le principal protagoniste dans le domaine de l'IA en Europe et a ajouté que le but du gouvernement français est de travailler à consolider cette position. « Je pense que nous sommes le numéro un [de l'IA] en Europe continentale, et nous devons accélérer. Nous allons investir comme des fous dans la formation et la recherche », a déclaré Emmanuel Macron à Karen Tso, de CNBC.
L'IA revêt un caractère important pour les gouvernements du monde entier depuis plusieurs décennies, mais le lancement du chatbot ChatGPT d'OpenAI en novembre dernier, et son succès immédiat, a déclenché une nouvelle frénésie dans le secteur. Chaque pays cherche à se positionner comme le pôle de l'IA, car cette technologie est considérée comme révolutionnaire et pourrait apporter des changements importants dans divers domaines. L'IA est considérée comme ayant un impact sur des secteurs allant de la finance aux soins de santé, mais elle a également été prise au milieu de la bataille technologique plus large qui se joue entre la Chine et les États-Unis.
L'IA était l'expression sur toutes les lèvres lors du salon VivaTech de cette année. Selon Emmanuel Macron, les États-Unis sont sans aucun doute le leader de l'IA, et il appartient à la France de rattraper son retard. « Croyez-moi, il est clair que les États-Unis sont numéro un, et ce pour une bonne raison : il s'agit d'un énorme marché intérieur. Et je veux que nous comblions le fossé et que nous investissions beaucoup plus, que nous développions beaucoup plus et que nous accélérions beaucoup plus », a déclaré Emmanuel Macron. Lors de ses entrevues, il a annoncé une enveloppe de 500 millions d'euros pour booster la croissance du secteur français de l'IA.
Cette enveloppe est destinée à la création de cinq à dix clusters [pôles régionaux réunissant universités et entreprises] en France et pour avoir deux ou trois centres d'excellence de rang mondial. Emmanuel Macron a déclaré qu'il souhaitait qu'il y ait des LLM français qui rivaliseraient avec GPT-4 d'OpenAI et PaLM de Google. « Nous allons accélérer le rythme pour qu'il y ait d'autres Mistral AI et LightOn », a-t-il déclaré, faisant référence à deux startups françaises qui développent des modèles d'IA. Mistral AI est une startup française fondée très récemment par des ingénieurs de Google DeepMind et de Meta. Elle a levé 105 millions d'euros il y a quelques jours.
LightOn est également une startup française fondée par les chercheurs Igor Carron, Sylvain Gigan, Florent Krzakala et Laurent Daudet. Elle a lancé en mars Paradigm, une plateforme d'IA générative française pour les grandes entreprises et aux ETI, et a l'avantage de prendre en charge les principales langues européennes. Paradigm est présenté comme permettant aux collaborateurs, sur simple requête en langage naturel, d’accélérer ou d’automatiser complètement certaines tâches fastidieuses. Par exemple, selon LightOn, Paradigm pourrait aider les entreprises à rédiger des fiches produits adaptées à différents publics à la place des équipes marketing.
Le modèle pourrait également aider les utilisateurs à produire des textes et des vidéos aux titres accrocheurs pour les services de communication ou créer un système de questions/réponses avec interaction personnalisée pour alléger le travail du support client. En outre, LightOn explique que Paradigm est capable de faire de la veille en ligne, de synthétiser des documents ou encore de retranscrire des réunions. LightOn, créée en 2016 avec l'objectif de concevoir un coprocesseur d'IA photonique, espère se démarquer de ChatGPT en promettant aux utilisateurs le contrôle total de leurs données, car sa solution est déployable sur leur propre infrastructure.
Le financement annoncé est jugé insignifiant dans cette course à l'IA
Les critiques ont qualifié l'enveloppe de 500 millions d'euros annoncés par Emmanuel Macron de "ridiculement bas" comparativement aux milliards de dollars dépensés chaque année par les entreprises chinoises et américaines pour former des modèles d'IA. En outre, Pékin et Washington disposent chacun d'une stratégie nationale en matière d'IA et investissent plusieurs milliards de dollars afin d'asseoir leur domination dans le secteur. La Chine produirait aujourd'hui beaucoup plus d'articles de recherche de haute qualité dans ce domaine que les États-Unis. Cependant, elle serait toujours à la traîne en ce qui concerne les "percées révolutionnaires".
Le premier plan visant à financer la croissance du secteur français de l'IA a été annoncé en 2018 et prévoyait une enveloppe de 1,5 milliard. Dans ce fonds, 400*millions d’euros étaient prévus pour des appels à projets et des défis d’innovation de rupture. Ces fonds étaient issus de redéploiements budgétaires, de fonds publics existants et du nouveau fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros, censés produire 260 millions d’euros de ressources publiques par an. D'un autre côté, une enveloppe de 100 millions d’euros et de 70 millions d’euros les années suivantes sera consacrée à l’amorçage de startup d'IA qui construisent des solutions novatrices.
Cependant, l'on ignore si ce plan a été respecté à la lettre ou si certains efforts ont néanmoins été faits. Lors de son allocution, Emmanuel Macron semblait satisfait de ce nouveau financement de 500 millions d'euros et a déclaré : « le pire scénario serait une Europe qui investit beaucoup moins que les Américains et les Chinois et qui commencerait par créer de la régulation. Ce scénario est possible, mais ce ne serait pas celui que je soutiendrai ». Pourtant, c'est déjà le cas. Rien qu'au niveau des entreprises d'IA, par exemple, Microsoft a investi un milliard de dollars dans OpenAI en 2019 et a rajouté plusieurs milliards de dollars au début de l'année.
En février dernier, Google a investi environ 300 millions de dollars dans la startup d'IA Anthropic. En échange de cet investissement de 300 millions de dollars, Google aurait obtenu une participation de 10 % dans l'entreprise et Anthropic serait tenu d'acheter des ressources de cloud computing à Google. Cette dynamique est quelque peu similaire au partenariat entre Microsoft et OpenAI. Ici, OpenAI fournit l'expertise en matière de recherche, tandis que Microsoft fournit non seulement des milliards de dollars d'investissement, mais aussi l'accès à sa puissante technologie de cloud, nécessaire pour former les derniers modèles d'IA à forte intensité de calcul.
Les entreprises américaines dominent actuellement les débats sur l'IA, avec des noms comme Microsoft - qui a investi dans OpenAI - Anthropic et le fabricant de puces Nvidia. La France n'a pas de géants de l'IA comme les États-Unis, mais elle entend favoriser l'émergence rapide de ses startups pour créer deux ou trois grands acteurs mondiaux dans le domaine de l'IA. Emmanuel Macron a souligné la nécessité de faire de développer des modèles d'IA typiquement français pour se défaire de certains problèmes. « Il faut aussi créer des bases de données en français. Sinon, nous utiliserons des modèles avec des biais hérités des Anglo-Saxons », a-t-il déclaré.
Emmanuel Macron considère l'utilisation de la langue française dans l'IA comme un enjeu de souveraineté et un exemple de soft power culturel. « Pour que l'IA prenne de l'ampleur, l'État français devra ouvrir ses bases de données. Nous croyons à l'open source », a-t-il déclaré. Il rejoint ici des acteurs comme Linagora, Mistral AI ou Meta (la maison mère de Facebook et Instagram), qui estiment que rendre les logiciels accessibles est plus favorable à l'innovation et à la sécurité que d'en garder le contrôle, comme l'a souligné le président de la Commission européenne. Bien sûr, Emmanuel Macron a également donné son avis sur la réglementation de l'IA.
Des règles trop strictes ralentiront le développement de l'IA en Europe
Lors du salon VivaTech, le président français a déclaré qu'il partageait les "préoccupations" selon lesquelles les projets européens de réglementation de l'IA nuiraient à l'innovation. Il a laissé entendre que les projets actuels en Europe pourraient freiner l'innovation. « Avec l'IA, la priorité est à la fois de réguler et d'innover », a déclaré Emmanuel Macron. Le Parlement européen vient d'approuver la loi sur l'IA (EU AI Act), une réglementation de grande envergure, la première du genre, sur l'IA. Cette loi n'est pas encore entrée en vigueur, mais si elle est adoptée, elle introduira une approche de la réglementation fondée sur les risques dans l'ensemble de l'UE.
Le projet de règles de l'UE a été critiqué par un certain nombre d'acteurs du secteur de l'IA, notamment le PDG d'OpenAI, Sam Altman, qui juge la législation beaucoup stricte. Altman a menacé de retirer OpenAI de l'UE (même s'il n'a pas un siège officiel dans l'UE) si les Européens ne trouvaient pas le juste milieu entre innovation et réglementation. La France est considérée comme un partisan d'une réglementation stricte en matière de technologie, mais elle s'est opposée à certaines parties de la loi de l'UE sur l'IA, qu'elle considère comme trop strictes. La législation adoptée par l'UE pourrait être modifiée pendant les négociations avec les États membres.
« Mon inquiétude est que ces dernières semaines, le Parlement européen a adopté une position très ferme sur la réglementation de l'IA, utilisant, dans un certain sens, cette loi sur l'IA comme un moyen d'essayer de résoudre trop de problèmes à la fois », a déclaré Jean-Noël Barrot, le ministre français de la Transition numérique et des Télécommunications, à propos des dispositions relatives à l'IA générative. En outre, la France souhaite une réglementation mondiale sur l'IA, qu'elle espère obtenir par l'intermédiaire du groupe G7, qui comprend les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que l'Organisation de coopération et de développement économiques.
« De mon point de vue, je pense que nous avons besoin d'une réglementation et tous les acteurs, même les acteurs américains, sont d'accord avec cela. Je pense que nous avons besoin d'une réglementation mondiale », a déclaré Emmanuel Macron. Par ailleurs, les ambitions de Paris sont confrontées à une rude concurrence, même en Europe ou au sein de l'Union européenne. « La France a certainement une chance d'être le leader en Europe, mais elle est confrontée à une forte concurrence de la part de l'Allemagne et du Royaume-Uni », a déclaré Anton Dahbura, codirecteur de l'Institut Johns Hopkins pour l'autonomie assurée, à CNBC par courriel.
Récemment, le Premier ministre britannique Rishi Sunak a plaidé pour que son pays devienne un centre mondial de l'IA. L'Allemagne fait aussi des efforts dans ce sens. Selon Dahbura, pour que la France réussisse, elle devra utiliser l'IA pour renforcer les secteurs économiques dans lesquels elle est déjà forte, comme l'industrie manufacturière et pharmaceutique. « C'est le moment clé pour être stratégique, identifier des domaines spécifiques de compétences distinctes et investir massivement dans l'IA afin de construire un avantage », a déclaré Dahbura. Outre-Atlantique, la France considère les États-Unis à la fois comme un rival et comme un allié.
Les entreprises françaises et européennes essaient de concurrencer les géants américains comme OpenAI, Microsoft et Google, mais la participation de Washington est nécessaire pour tout type de réglementation mondiale. La concurrence est toujours une bonne chose. « Nous avons donc une coopération très étroite avec les États-Unis, mais nous voulons aussi avoir accès à notre propre IA et à nos propres entreprises. Je pense donc qu'une concurrence loyale entre les États-Unis et l'Europe et une coopération sur certains dispositifs clés sont bonnes pour les États-Unis et pour l'Europe », a déclaré le ministre français des Finances, Bruno Le Maire.
Cependant, beaucoup critiquent cette position de la France, affirmant que Paris devrait se montrer souverainiste et protectionniste en ce qui concerne l'IA pour ne pas se faire voler ses entreprises ou ses technologies, comme cela a été déjà le cas dans d'autres secteurs. « Il ne suffit pas de "décider". Jusqu'à présent, les décisions prises par l'Europe en matière d'IA étaient plutôt stupides. D'ailleurs, ils ne décident pas, ils le déclarent. En plus, faire confiance aux Américains dans le cadre d'un partenariat équilibré est relativement stupide. Nous avons encore tous en mémoire la crise des sous-marins australiens », peut-on lire dans les commentaires.
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