L'IA semble au cœur du plus grand conflit social dans le monde du cinéma depuis de nombreuses décennies. Les studios de cinéma investissent massivement dans les technologies d'IA pour faire des économies et augmenter leurs bénéfices, mais les acteurs horrifiés par cette approche refusent que leurs voix soient clonées à l'aide de l'IA et utilisées à leur insu. De nombreux syndicats d'acteurs, comme la Writers Guild of America (qui représente des milliers de scénaristes américains) et le SAG-AFTRA (le syndicat des acteurs d'Hollywood), sont entrés en grève pour protester contre ce qu'ils appellent "une utilisation abusive de l'IA" par les studios de cinéma.
S'exprimant lors d'une conférence de presse à l'annonce de la grève, la présidente du syndicat SAG-AFTRA, Francine Joy Drescher (dite Fran Drescher), a expliqué : « l'IA constitue une menace existentielle pour les industries créatives et les acteurs devaient être protégés contre l'exploitation de leur identité et de leur talent sans leur consentement et sans rémunération ». Le syndicat SAG-AFTRA (Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists) défend les intérêts d'environ 160 000 acteurs, figurants et professionnels américains des médias. La grève du SAG-AFTRA vise la revalorisation de la rémunération des acteurs américains.
Selon les responsables du syndicat, cela devrait permettre aux acteurs de faire face à l'arrivée de l'IA, qui risque de précariser la profession. Par exemple, lors de son discours au festival CogX la semaine dernière, Stephen Fry, auteur et acteur britannique, a fait écouter au public un extrait d'une note vocale dans laquelle l'on entend l'acteur narrer un documentaire historique. Mais Fry a déclaré : « je n'ai pas dit un seul mot de cette histoire, c'était une machine. Oui, cela m'a choqué. Ils ont utilisé ma lecture des sept volumes des livres Harry Potter, et à partir de cet ensemble de données, une IA de ma voix a été créée et a fait cette nouvelle narration ».
Fry, qui a joué dans des films tels que Gosford Park, V for Vendetta et The Hitchhiker's Guide to the Galaxy, est également le narrateur des livres audio britanniques de Harry Potter. (L'acteur Jim Dale est le narrateur de la version américaine de la série.) « Ce que vous avez entendu n'est pas le résultat d'un mash-up, c'est le résultat d'une voix artificielle flexible, où les mots sont modulés pour s'adapter au sens de chaque phrase. Elle pourrait donc me faire lire n'importe quoi, allant d'un appel à la tempête parlementaire jusqu'à du hard porno, le tout à mon insu et sans ma permission. Et ce que vous venez d'entendre a été fait à mon insu », a déclaré Fry.
« J'en ai entendu parler, je l'ai envoyé à mes agents des deux côtés de l'Atlantique, et ils sont devenus fous - ils n'avaient aucune idée qu'une telle chose était possible », a-t-il ajouté. L'acteur britannique a déclaré que lorsqu'il a découvert que sa voix était utilisée dans des projets sans son consentement, il n'y a vu que le début d'une menace émergente pour les talents créatifs. Fry a déclaré que ses agents se sont mis en colère, mais qu'il leur a demandé de se préparer au pire : « vous n'avez encore rien vu. Pour l'instant, c'est juste de l'audio. Dans un avenir pas si lointain que ça, nous pourrions voir apparaître des vidéos deepfake tout aussi convaincantes ».
Fry n'est pas le seul acteur célèbre ayant exprimé publiquement ses craintes concernant l'IA et sa place dans l'industrie du cinéma. Lors d'un événement organisé au cours de l'été au Royaume-Uni pour soutenir la grève du SAG-AFTRA, l'acteur Brian Cox a raconté l'anecdote d'un ami dans l'industrie à qui l'on avait dit "en termes très clairs" qu'un studio garderait son image et en ferait ce qu'il voudrait : « c'est une position tout à fait inacceptable. Et c'est contre cette position que nous devrions vraiment nous battre, parce que c'est le pire aspect. Les salaires sont une chose, mais le pire aspect est l'idée même de l'IA et de ce qu'elle peut nous faire ».
Matthew McConaughey, lauréat d'un Oscar, a déclaré au PDG de Salesforce, Marc Benioff, lors d'une table ronde à la conférence Dreamforce de cette année qu'il s'inquiétait de l'essor de l'IA à Hollywood. « Nous risquons fort, si nous sommes irresponsables, de nous cannibaliser et de créer ce dieu numérique devant lequel nous nous inclinerons, et nous deviendrons tout à coup les outils de cet outil », a-t-il déclaré. De son côté, Simon Pegg, star de Star Trek et de Mission Impossible, a déclaré que l'IA était une menace pour les acteurs. « Nous envisageons d'être remplacés d'une certaine manière », a-t-il déclaré lors de l'événement en juillet.
« Nous devons être rémunérés et nous devrions avoir notre mot à dire sur la manière dont notre image est utilisée. Je ne veux pas apparaître dans une publicité pour quelque chose que je désapprouve. Je veux pouvoir conserver mon image et ma voix, et savoir où elles vont », a ajouté Pegg. La SAG-AFTRA et la Writers Guild of America (WGA) se lancé dans cette lutte pour réclamer un contrat qui exige explicitement une réglementation de l'IA afin de protéger les écrivains et les œuvres qu'ils créent. Drescher explique : « si nous ne nous tenons pas debout dès aujourd'hui, nous allons tous avoir des problèmes. Nous risquons tous d'être remplacés par des machines ».
En mai, au début du bras de fer entre les syndicats d'acteurs et les producteurs, réunis au sein du groupe AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers), la WGA a publié un communiqué de presse qui indique : « l'IA ne peut pas écrire ou réécrire du matériel littéraire, ne peut pas être utilisée comme matériel source et [les œuvres couvertes par les contrats syndicaux] ne peuvent pas être utilisées pour former l'IA ». Les scénaristes refusent de corriger les scénarios générés par l'IA et les acteurs sont sous pression pour céder leurs voix et leurs images à l'IA (afin que les producteurs puissent s'en servir à leur gré), mais continuent de résister.
Les préoccupations des acteurs mettent en lumière une inquiétude plus générale parmi les artistes et les personnes exerçant d'autres professions créatives. Beaucoup craignent qu'en l'absence d'une réglementation stricte de l'IA, leur travail soit reproduit et remixé par des outils d'IA, et qu'une telle transformation réduise le contrôle qu'ils exercent sur leur travail et nuise à leur capacité à gagner leur vie.
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