Devin fait partie de la nouvelle vague d’intelligences artificielles spécialisées en développement de logiciels. Sa présentation fait suite à celle de l’IA dénommée Magic.dev et annoncée au public comme un « ingénieur logiciel superhumain. » Ce projet a d’ailleurs obtenu 100 millions de dollars de financement de Nat Friedman (PDG de GitHub de 2018 à 2021) et de Daniel Gross (cofondateur du moteur de recherche Cue qu'Apple a acquis en 2013).
Magic.dev et Devin partagent un dénominateur commun : une proposition de valeur qui passe par une présentation musclée ; « ingénieur logiciel superhumain » ou encore « première IA d’ingénierie logicielle entièrement autonome. » Les retours à ce sujet font néanmoins état de ce que Devin, dans sa forme actuelle, apparaît plus comme étant un assistant de codage. Il commet des erreurs, ne rend satisfaction que dans 13 % des cas concrets de développement informatique tirés de plateforme comme Upwork, a besoin d’assistance humaine. Le propre site web de l’entreprise Cognition, qui édite cette intelligence artificielle, ne s’appuie pas sur cette dernière pour sa mise sur pied. L’utilisation de Devin pour la création du site de web de Cognition aurait pourtant été une preuve de son utilisation en production.
Les promoteurs d’outils comme Magic.dev et Devin visent un objectif aussi vieux que l’aube de l’informatique : mettre les développeurs humains au rebut. n 1959, le langage de programmation COBOL a été conçu par l'ingénieur logiciel Grace Hopper. L'objectif déclaré de ce langage était de permettre aux hommes d'affaires n'ayant aucune formation en programmation de l'utiliser.
COBOL était annoncé comme la réponse à l'augmentation du coût des opérations de développement informatique parmi lesquelles on compte les salaires des développeurs informatiques : il permettait à n'importe qui, sans expérience de la programmation, d'écrire des programmes. Le langage était en effet convivial pour les utilisateurs professionnels et a été le langage de programmation le plus populaire au monde pendant une courte période en 1970.
En fin de compte, COBOL n'a pas supprimé le besoin de développeurs : au contraire, il a créé une demande de développeurs informatique avec une spécialisation dans ce langage. Les développements en cours en lien avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle et son impact sur la filière du développement de logiciels apparaissent ainsi comme une espèce de redite de l’épisode COBOL.
Une récente étude arrive à la conclusion que l’IA générative ne remplacera pas les développeurs de sitôtIs Devin the AI that will replace software engineers? #ai #devin #coding pic.twitter.com/yif0N5rRAE
— Mosh (@moshhamedani) March 16, 2024
Des chercheurs de l'université de Princeton ont développé un cadre d'évaluation basé sur près de 2300 problèmes courants de génie logiciel montés à partir de rapports de bogues et de feature requests soumis sur GitHub afin de tester la performance de divers modèles de grands langages (LLM).
Les chercheurs ont fourni à différents modèles de langage le problème à résoudre et le code du dépôt. Ils ont ensuite demandé au modèle de produire un correctif réalisable. Ce dernier a ensuite fait l’objet de tests pour s'assurer qu'il était correct. Mais le LLM n'a généré une solution efficace que dans 4 % des cas.
Leur modèle spécialement entraîné, SWE-Llama, n'a pu résoudre que les problèmes d'ingénierie les plus simples présentés sur GitHub, alors que les LLM classiques tels que Claude 2 d'Anthropic et GPT-4 d'OpenAI n'ont pu résoudre que 4,8 % et 1,7 % des problèmes, de façon respective.
Et l’équipe de recherche de conclure : « le génie logiciel n’est pas simple dans la pratique. La correction d'un bogue peut nécessiter de naviguer dans un grand référentiel, comprendre l'interaction entre des fonctions dans différents fichiers ou repérer une petite erreur dans du code alambiqué. Cela va bien au-delà des tâches de complétion de code. »
C’est la raison pour laquelle Linux Torvalds a tenu à se désolidariser de tout le battage médiatique autour de l’intelligence artificielle. Il la considère comme un outil au stade actuel de son évolution. Il suggère d’ailleurs la révision de code comme domaine d’application de l’intelligence artificielle. La capacité de l’intelligence artificielle à « deviner » l’intention du développeur lui sera utile pour obtenir du code fiable en un temps réduit. Une condition demeurera toutefois nécessaire : le développeur devra à son tour examiner ce que l’intelligence artificielle lui propose.
Certains intervenants sont néanmoins d’avis que les actuels modèles d’IA ne font qu’effleurer la surface du tableau futur de la filière du développement de logiciels et renforcent l’idée de la possible disparition du métier de développeur
« ChatGPT et autres GitHub Copilot donnent juste un aperçu introductif de ce que la filière informatique sera dans l’avenir », déclare le CEO de la startup IA Fixie AI.
« Les assistants de programmation tels que CoPilot ne font qu'effleurer la surface de ce que je décris. Il me semble tout à fait évident qu'à l'avenir, tous les programmes seront écrits par des intelligences artificielles, les humains étant relégués, au mieux, à un rôle de supervision. Quiconque doute de cette prédiction n'a qu'à regarder les progrès très rapides réalisés dans d'autres aspects de la génération de contenu par l'intelligence artificielle, comme la génération d'images. La différence de qualité et de complexité entre DALL-E v1 et DALL-E v2 - annoncée seulement 15 mois plus tard - est stupéfiante. Si j'ai appris quelque chose au cours de ces dernières années à travailler dans le domaine de l'IA, c'est qu'il est très facile de sous-estimer la puissance de modèles d'IA de plus en plus grands. Des choses qui semblaient relever de la science-fiction il y a seulement quelques mois deviennent rapidement réalité.
Je ne parle pas seulement du fait que CoPilot de Github de remplacer les programmeurs. Je parle de remplacer le concept même d'écriture de programmes par des agents d’intelligence artificielle dédiés. À l'avenir, les étudiants en informatique n'auront pas besoin d'apprendre des compétences aussi banales que l'ajout d'un nœud à un arbre binaire ou le codage en C++. Ce type d'enseignement sera dépassé, comme celui qui consiste à apprendre aux étudiants en ingénierie à utiliser une règle à calcul », ajoute-t-il.
Et vous ?
Les développements en cours dans la filière du génie logiciel donnent-ils lieu à des inquiétudes légitimes quant à l’avenir des informaticiens humains dans la filière ?
Comment voyez-vous l'intelligence artificielle dans 5 à 10 ans ? Comme un outil ou comme un danger pour votre poste de développeur ?
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