Le groupe américain de défense des intérêts des consommateurs Public Citizen a récemment publié un rapport qui met en lumière le lobbying intense des groupes d'intérêts des entreprises spécialisées dans l'IA. Public Citizen a rapporté que de puissants groupes commerciaux consacrent des ressources considérables à l'élaboration de la politique en matière d'IA aux États-Unis. Le rapport constate que ces groupes commerciaux ont plus que doublé le nombre de lobbyistes qu'ils ont envoyés au Capitole en 2023, par rapport à l'année précédente, afin d'influencer les décideurs politiques sur les questions relatives à l'IA.
Le rapport examine les dossiers de divulgation des activités de lobbying entre 2019 et 2023, et constate que les entreprises d'IA ont déployé une armée de plus de 3 400 lobbyistes de l'IA pour influencer les législateurs fédéraux l'année dernière, soit un bond de 120 % par rapport à 2022. Le nombre d'organisations ayant fait pression sur le gouvernement sur des questions liées à l'IA a été relativement stable entre 2019 et 2022, mais la nouvelle analyse montre que l'année dernière, les entreprises, les groupes commerciaux et les cabinets de lobbying semblaient considérer l'IA comme une question qui nécessitait plus d'attention.
D'après le rapport, au moins 566 clients ont fait du lobbying sur l'IA l'année dernière, ce qui représente une augmentation de 108 % par rapport aux 272 organisations engagées sur la question en 2022. « La compilation des données a révélé une augmentation du nombre de clients, d'organisations de lobbying et de lobbyistes individuels s'engageant sur des questions liées à l'IA, ainsi que l'éventail disparate d'industries que ces questions touchent », affirme Public Citizen. Le rapport a notamment mis en évidence les points suivants :
- les entreprises, les groupes commerciaux et d'autres organisations ont envoyé plus de 3 400 lobbyistes pour faire pression sur le gouvernement fédéral américain sur les questions liées à l'IA en 2023, ce qui représente un bond de 120 % par rapport à 2022 ;
- l'IA n'est pas un sujet de préoccupation pour les entreprises d'IA et de logiciels uniquement. L'industrie technologique est à l'origine du plus grand nombre de lobbyistes liés à l'IA en 2023 (près de 700), mais elle ne représente que 20 % de l'ensemble des lobbyistes déployés dans le domaine de l'IA. Des lobbyistes issus d'un large éventail de secteurs autres que celui de la technologie se sont engagés sur des questions liées à l'IA, notamment les services financiers, les soins de santé, les télécommunications, les transports et la défense ;
- les clients qui font du lobbying sur les questions liées à l'IA ont envoyé plus de 1 100 lobbyistes pour faire du lobbying auprès de la Maison Blanche en 2023, soit près de deux fois plus que le nombre de lobbyistes consacrés à une agence fédérale en particulier. Le nombre de lobbyistes engagés pour faire du lobbying auprès de la Maison Blanche sur les questions liées à l'IA est passé de 323 au premier trimestre à 931 au quatrième trimestre, soit une augmentation de 188 % en l'espace d'un an ;
- 85 % des lobbyistes engagés en 2023 pour faire du lobbying sur les questions liées à l'IA l'ont été par des entreprises ou des groupes commerciaux alignés sur les entreprises. La Chambre de commerce des États-Unis est à l'origine du plus grand nombre de lobbyistes liés à l'IA (81), suivie d'Intuit (64), de Microsoft (60), de la Business Roundtable (42) et d'Amazon (35).
Un précédent rapport d'OpenSecrets a mis en évidence le pic de lobbying des nouveaux venus dans la course à l'IA, révélant que plus de 330 entités ont fait du lobbying sur des questions liées à l'IA en 2023. OpenSecrets a constaté que les groupes qui ont fait du lobbying sur l'IA en 2023 ont dépensé un total de 957 millions de dollars pour faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral américain sur toutes les questions cette année-là. En outre, à l'aide des données prises en compte, Public Citizen a examiné quelles agences du gouvernement fédéral les clients et leurs lobbyistes ciblaient le plus sur les questions liées à l'IA.
Selon Public Citizen, un grand nombre de ceux qui dépensent le plus en lobbying se sont également engagés sur les questions relatives à IA. Sur les 20 entités qui dépensent le plus en lobbying, Public Citizen a constaté que 15 d'entre elles ont fait du lobbying intense sur l'IA, ce qui montre que les organisations qui ont le plus de ressources disposent d'un vaste pouvoir de lobbying pour façonner les réglementations entourant l'utilisation de l'IA. Les résultats de l'analyse révèlent que le lobbying sur l'IA prend de l'ampleur à mesure que les entreprises livrent de nouveaux outils d'IA et que les législateurs tentent de les réglementer.
« Les lobbyistes d'entreprise qui se déchaînent dans les couloirs du Congrès et du pouvoir ont pour objectif de définir notre avenir en matière d'IA. Soit nous laissons les lobbyistes d'entreprise rédiger des règles sur l'IA pour concentrer le pouvoir et la richesse des entreprises, soit nous exigeons que les représentants du gouvernement donnent la priorité à l'intérêt public », a déclaré Robert Weissman, président de Public Citizen. L'analyse montre que les clients et leurs lobbyistes intensifient leurs efforts de lobbying chaque fois que les législateurs américains présentent un nouveau projet de loi sur la réglementation de l'IA.
« Les entreprises d'IA, les sociétés de défense, les fabricants de véhicules autonomes et d'autres acteurs peuvent gagner des milliards si la politique en matière d'IA est élaborée davantage dans leur intérêt que dans celui du public. Ces entités semblent dominer les conversations sur l'IA au Capitole. Ce n'est jamais une bonne idée de confier au renard le soin de concevoir la sécurité du poulailler », a déclaré Mike Tanglis, directeur de recherche pour la division Congress Watch de Public Citizen. Public Citizen prévoit que le lobbying en faveur de l'IA se poursuivra en 2024 et au-delà, car de nouvelles propositions de loi sont en vue.
Selon Public Citizen, avec l'action du gouvernement fédéral pour ériger des garde-fous pour l'utilisation de l'IA, "les parties prenantes s'appuieront probablement encore plus sur leurs lobbyistes pour façonner la manière dont la politique de l'IA est élaborée". « Le gouvernement fédéral américain devrait se méfier de l'engagement des groupes de défense des intérêts des entreprises d'IA dans le processus. Les garde-fous de l'IA sont essentiels pour protéger le public et les voix des parties prenantes qui les représentent doivent également être entendues avec force dans les couloirs du gouvernement », a déclaré Public Citizen.
Un rapport publié l'été dernier a allégué qu'OpenAI a fait pression sur l'Union européenne pour qu'elle édulcore sa réglementation sur l'IA et aurait réussi à faire passer ses intérêts financiers au détriment de l'intérêt général. OpenAI aurait fait pression pour que des éléments importants de la loi européenne sur l'IA (EU AI Act) soient fortement édulcorés de manière à réduire le fardeau réglementaire qui pèse sur la société. Ces informations sont issues de documents sur l'engagement d'OpenAI avec des fonctionnaires de l'UE obtenus par TIME auprès de la Commission européenne par le biais de demandes de liberté d'information.
Le Parlement européen a adopté la législation "Eu AI Act" en juin 2023. Elle impose des règles aux utilisations de l'IA considérées comme les plus risquées. Elle limite l'utilisation des logiciels de reconnaissance faciale et exige des fabricants d'outils d'IA qu'ils divulguent davantage d'informations sur les données utilisées pour créer leurs programmes. Après avoir relativement réussi à imposer ses volontés à l'UE, Sam Altman, PDG d'OpenAI, fait une tournée mondiale pour plaider en faveur d'une norme mondiale sur l'IA. Mais son appel d'importantes préoccupations parmi les groupes de défenses des intérêts des consommateurs.
Au regard des révélations du rapport, il ne serait pas imprudent de suggérer qu'OpenAI compte également imposer sa politique au monde entier. Les efforts de lobbying d'OpenAI visent davantage à protéger ses intérêts financiers qu'à promouvoir l'intérêt public. Altman mène donc un jeu de dupe au sein de la communauté internationale de l'IA, un stratagème qui lui permettrait à terme d'asseoir sa domination sur le secteur de l'IA. Par ailleurs, les critiques accusent l'UE de s'être pliée une nouvelle fois aux désidératas des Américains, au mépris des intérêts de ses propres entreprises et de sa souveraineté numérique.
Source : Public Citizen
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