
OpenAI cherche-t-elle à protéger les utilisateurs ou à éliminer un concurrent ?
La récente déclaration d’OpenAI, qualifiant la startup chinoise DeepSeek d’entreprise « contrôlée par l’État » et appelant à l’interdiction des modèles d’IA produits par la République populaire de Chine (RPC), marque une nouvelle escalade dans la bataille mondiale pour la domination de l’intelligence artificielle. Ce positionnement n’est pas anodin : il illustre la montée des tensions entre les États-Unis et la Chine dans un domaine technologique devenu critique pour l’économie, la sécurité nationale et même la souveraineté des nations. Derrière ces accusations d’OpenAI se cache une question plus large : s’agit-il d’une démarche sincère de protection contre des risques réels ou d’un prétexte pour évincer un concurrent en pleine ascension ?
Contexte
OpenAI a déjà accusé DeepSeek, qui s'est fait connaître au début de l'année, de « distiller » des connaissances à partir des modèles d'OpenAI, en violation de ses conditions d'utilisation. De façon brossée, la distillation des modèles, ou knowledge distillation, est une méthode permettant de transférer les connaissances d’un modèle volumineux (appelé modèle professeur) vers un modèle plus petit (modèle étudiant). L’objectif est de capturer l’essence des performances du modèle initial tout en diminuant la complexité computationnelle et les coûts associés. Bien sûr, en pratique, ce n'est pas aussi simple mais l'idée ici est d'expliquer le principe.
Les nouvelles allégations d'OpenAI selon lesquelles DeepSeek est soutenu par la République Populaire de Chine et est sous son commandement constituent une escalade de la campagne de l'entreprise contre le laboratoire chinois. Il n'existe pas de lien clair entre le gouvernement chinois et DeepSeek, une entreprise dérivée d'un fonds spéculatif quantitatif appelé High-Flyer. Toutefois, la RPC s'est intéressée de plus en plus à DeepSeek au cours des derniers mois. Il y a quelques semaines, le fondateur de DeepSeek, Liang Wenfeng, a rencontré le dirigeant chinois Xi Jinping.
OpenAI contre DeepSeek : une rivalité sur fond de sécurité nationale
Dans une nouvelle proposition de politique, OpenAI décrit le laboratoire d'IA chinois DeepSeek comme étant « subventionné par l'État » et « contrôlé par l'État », et recommande que le gouvernement américain envisage d'interdire les modèles de l'équipement et d'autres opérations similaires soutenues par la République populaire de Chine (RPC).
La proposition, soumise dans le cadre de l'initiative « AI Action Plan » de l'administration Trump, affirme que les modèles de DeepSeek, y compris son modèle de « raisonnement » R1, ne sont pas sûrs parce que DeepSeek est tenu par la loi chinoise de se conformer aux demandes de données des utilisateurs. Interdire l'utilisation de modèles « produits en Chine » dans tous les pays considérés comme « de niveau 1 » selon les règles d'exportation de l'administration Biden permettrait d'éviter les risques pour la vie privée et la sécurité, affirme OpenAI, y compris le « risque de vol de propriété intellectuelle ».
Il n'est pas clair si les références d'OpenAI aux « modèles » se rapportent à l'API de DeepSeek, aux modèles ouverts du laboratoire ou aux deux. Les modèles ouverts de DeepSeek ne contiennent pas de mécanismes qui permettraient au gouvernement chinois de siphonner les données des utilisateurs ; des entreprises telles que Microsoft, Perplexity et Amazon les hébergent sur leur infrastructure.
Une règle qui affecte plus de 100 pays et suscite des critiques de la part de l'Union européenne
Pour mémoire, la règle de diffusion de l'IA, annoncée peu avant la fin du mandat de Joe Biden, vise à restreindre l'accès aux puces d'IA avancées pour empêcher les entreprises chinoises de contourner les contrôles américains. Cependant, cette réglementation impose un système de licences à plusieurs niveaux pour les puces d'IA : au premier niveau, les alliés des États-Unis conservent un accès illimité aux puces américaines ; au deuxième niveau, les adversaires ne pourraient pas importer de semi-conducteurs ; et au troisième niveau, la plupart des pays seraient soumis à des restrictions sur la puissance informatique totale qu'ils obtiendraient.
L'échelon supérieur est composé de 18 alliés des États-Unis, dont le Canada et le Royaume-Uni, et est généralement exempté de restrictions. Le niveau inférieur est soumis aux contrôles les plus stricts. Outre la Chine, que Trump considère comme un rival technologique, des alliés tels que l'Inde, Israël et la Suisse ne sont pas autorisés à recevoir les puces les plus avancées. Tous les autres pays se situent dans la catégorie intermédiaire et sont également soumis à des limites concernant la quantité de puces qu'ils peuvent acheter aux entreprises américaines sans obtenir de licence spéciale.
Cette situation affecte plus de 100 pays et suscite des critiques de la part de l'Union européenne, de fabricants de puces comme Nvidia, et de l'industrie technologique au sens large. Les géants technologiques américains tels que Microsoft, Google et Amazon, qui dépendent fortement de ces puces pour leurs projets d'IA, pourraient être contraints de demander des autorisations spécifiques pour construire des centres de données utilisant ces technologies.
Une critique des arguments avancés par OpenAI
OpenAI avance plusieurs arguments pour justifier son appel à l’interdiction des modèles chinois :
- DeepSeek serait « contrôlé par l’État » chinois, ce qui poserait des risques en matière d’ingérence gouvernementale.
- Les lois chinoises obligeraient les entreprises locales à partager leurs données avec Pékin, augmentant ainsi les risques de cybersécurité.
- DeepSeek aurait exploité des technologies d’OpenAI sans permission pour entraîner ses propres modèles, ce qui soulève des questions de violation de la propriété intellectuelle.
Cependant, en y regardant de plus près, ces accusations peuvent être remises en question.
L’argument de la sécurité nationale : un prétexte ?
OpenAI s’appuie sur un discours alarmiste autour de la souveraineté numérique et de la sécurité nationale. Il est vrai que les entreprises chinoises ont des obligations légales vis-à-vis du gouvernement, notamment en matière de collecte de données. Cependant, OpenAI omet volontairement de souligner que les entreprises américaines ne sont pas exemptes de telles pratiques.
Depuis les révélations d’Edward Snowden en 2013 sur la surveillance de masse exercée par la NSA, il est de notoriété publique que les États-Unis exploitent également leurs entreprises technologiques pour obtenir des renseignements stratégiques. L’argument sécuritaire peut donc être perçu comme un double standard visant à discréditer un concurrent.
La question de la propriété intellectuelle : un problème structurel
Accuser DeepSeek d’avoir copié la technologie d’OpenAI n’est pas surprenant. L’industrie de l’IA repose en grande partie sur la réutilisation de modèles open-source et de données accessibles au public.
De plus, OpenAI elle-même a bénéficié largement du travail académique et des contributions open-source pour développer ses propres modèles. La frontière entre ce qui est considéré comme du plagiat et ce qui relève du développement itératif est donc floue.
Si OpenAI cherche à défendre la propriété intellectuelle, pourquoi ne pas appliquer ces principes aux États-Unis également ? Les startups américaines exploitent également des travaux réalisés en Chine ou en Europe. Ce procès d’intention contre DeepSeek ressemble davantage à une tactique protectionniste qu’à une véritable défense de l’innovation.
OpenAI et l’hypocrisie du protectionnisme technologique
OpenAI présente sa démarche comme une initiative pour protéger les utilisateurs contre des modèles potentiellement dangereux. Mais dans les faits, cette stratégie semble surtout servir des intérêts économiques et géopolitiques américains.
Un protectionnisme déguisé ?
L’appel d’OpenAI à l’interdiction des modèles d’IA chinois arrive à un moment où les États-Unis durcissent leurs restrictions contre la Chine, notamment en matière d’exportation de semi-conducteurs et d’équipements avancés pour l’IA. La mise en avant des risques sécuritaires semble avant tout un moyen de justifier une approche protectionniste.
Il est également important de noter que les modèles d’OpenAI sont eux-mêmes de plus en plus fermés et propriétaires. Initialement, OpenAI se présentait comme une organisation prônant l’open-source. Aujourd’hui, elle protège jalousement ses modèles sous prétexte de sécurité et de responsabilité.
L’illusion du monopole éthique
Un autre paradoxe réside dans le fait qu’OpenAI ne tolère pas de concurrence sérieuse venant de l’étranger, tout en se présentant comme un acteur mondial responsable. Pourtant, les régulations qu’elle défend aux États-Unis ne sont pas nécessairement en faveur de la libre innovation, mais bien en faveur de ses propres intérêts commerciaux.
En appelant à des restrictions contre les modèles chinois, OpenAI ne défend pas seulement la sécurité des utilisateurs : elle cherche à s’assurer une position dominante dans un marché où la concurrence s’accroît.

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