
DeepSeek remet en cause le modèle économique d'OpenAI et de la Silicon Valley
L'analyse a été publiée par Bryan McMahon, chercheur indépendant et écrivain spécialisé dans l'IA et l'industrie technologique, dans le magazine The American Prospect. Dans son article, Bryan McMahon analyse l'approche actuelle de la Silicon Valley dans la course à l'IA et la compare à celle des startups chinoises. Il souligne que la montée en puissance des startups chinoises menace de faire éclater la bulle spéculative qui s'est formée autour de l'IA générative.
OpenAI a annoncé son ambitieux projet Stargate en janvier dernier. Stargate vise à investir 500 milliards de dollars dans la construction d'infrastructure d'IA aux États-Unis. Il offrirait à OpenAI toute l'infrastructure informatique nécessaire pour atteindre son objectif ultime : l'intelligence générale artificielle (AGI).
Mais la réaction à Stargate a été discrète et la Silicon Valley s'est rapidement tournée vers l'ouest. Un nouveau modèle d'IA générative appelé DeepSeek-R1, publié par le fonds spéculatif chinois High-Flyer, a provoqué une hécatombe à Wall Street, faisant dévisser les actions liées à l'IA. DeepSeek-R1 a égalé les performances du modèle phare d'OpenAI, o1, avec un coût inférieur de 95 %. L'entraînement du modèle n'aurait nécessité que six millions de dollars.
Ce montant est controversé. Toutefois, en matière de performance, DeepSeek-R1 a réussi à reproduire les techniques de raisonnement du modèle o1, la « sauce secrète » tant vantée d'OpenAI, qui lui permettait de conserver une importante avance technique sur les autres participants de la course à l'IA. Mieux encore, DeepSeek-R1 est open source jusqu'aux poids du modèle, de sorte que n'importe qui peut télécharger et modifier les détails du modèle librement.
Selon Bryan McMahon, cette évolution constitue une menace existentielle pour le modèle économique d'OpenAI, qui est en difficulté. OpenAI, le leader actuel de la course à l'IA, aurait perdu 5 milliards de dollars l'année dernière et s'attend à voir ses pertes annuelles atteindre 11 milliards de dollars d'ici à 2026.

L'année dernière, le PDG de Baidu, Robin Li, a déclaré que la plupart des entreprises travaillant sur l'IA s'effondreront lorsque la bulle de l'IA éclatera. Selon lui, « 99 % des acteurs du marché sont voués à disparaître ». Il a comparé le secteur de l'IA à la bulle Internet des années de la fin des années 1990.
Des milliards de dollars injectés dans l'IA sans perspective de rendement claire
En 2023, 71 % des gains totaux du S&P 500 étaient attribuables à sept entreprises que sont : Apple, Nvidia, Tesla, Alphabet, Meta, Amazon et Microsoft. Elles comptent toutes parmi les plus gros investisseurs en IA. Quatre d'entre elles (Microsoft, Alphabet, Amazon et Meta) ont investi 246 milliards de dollars en 2024 pour soutenir le développement de l'IA. Selon plusieurs analystes, les investissements dans l'IA continueront à croître au cours des prochaines années.
En outre, les racks de GPU et ces centres de données nécessaires au développement de l'IA ont besoin d'énergie, et l'industrie de l'énergie se lance également dans une frénésie d'investissement unique en son genre pour suivre le rythme. Il est difficile de se faire une idée de l'ampleur des centres de données prévus pour alimenter l'IA générative. Oracle a annoncé qu'il a l'intention de construire un centre de données de l'ordre du gigawatt uniquement pour l'IA.
OpenAI a informé la Maison Blanche de la nécessité de construire des centres de données de 5 gigawatts, ce qui correspond à l'énergie consommée par environ trois millions de foyers américains par an. Un rapport publié par McKinsey prévoit que l'électricité destinée à alimenter les centres de données d'IA triplera, passant de 3 à 4 % de l'électricité des États-Unis à 11 % ou 12 % d'ici à 2030. Mais le secteur de l'électricité croit généralement de 2 à 3 % par an.
Ce qui est bien trop peu pour répondre à l'augmentation prévue de la demande. McKinsey estime que les compagnies d'électricité devraient dépenser 500 milliards de dollars en plus de leurs dépenses d'investissement prévues pour répondre aux besoins des centres de données d'IA. Si cela s'avère exact, il s'agit là d'un sérieux goulot d'étranglement, non seulement pour OpenAI, mais aussi pour la croissance attendue de l'industrie de l'IA dans son ensemble.
L'IA générative : un gouffre financier et énergétique avec des résultats mitigés
Entre les sociétés de capital-risque, les Big Tech et les compagnies d'électricité, la facture de l'IA générative s'élève à près de 2 000 milliards de dollars rien que pour les cinq prochaines années. Si l'on additionne tous ces éléments, certains commencent à remettre en question les fondements économiques de l'IA. Jim Covello, responsable de la recherche sur les actions mondiales chez Goldman Sachs, doute que l'industrie puisse récupérer ce qui a été investi.
Selon Jim Covello, contrairement à Internet, l'IA générative ne parvient pas à résoudre des problèmes commerciaux complexes à un coût inférieur à ce qui est disponible aujourd'hui. En outre, selon lui, il est peu probable que les intrants les plus coûteux pour l'IA générative, à savoir les GPU et l'énergie, diminuent de manière significative pour l'industrie technologique au fil du temps, étant donné que la demande dépasse largement l'offre dans ces deux domaines.
Le codage généré par l'IA pourrait stimuler la productivité, mais il est difficile d'imaginer qu'il puisse devenir une industrie de plusieurs milliers de milliards de dollars. Les enquêtes ont confirmé que, pour de nombreux travailleurs, les outils d'IA tels que ChatGPT réduisent leur productivité en augmentant le volume de contenu et les étapes nécessaires pour accomplir une tâche donnée, et en introduisant fréquemment des erreurs qui doivent être vérifiées et corrigées.
Une étude réalisée en 2024 par Uplevel Data Labs a suivi 800 ingénieurs logiciels utilisant Copilot sur GitHub et n'a constaté aucune augmentation mesurable de la productivité dans les tâches de codage, bien que ce cas d'utilisation soit celui qui est le plus mis en avant par les entreprises spécialisées dans l'IA.
Et même les gains de productivité peuvent avoir un coût : les chercheurs de Microsoft ont conclu que les travailleurs devenaient plus productifs en utilisant des outils d'IA générative, mais que leurs capacités de réflexion critique diminuaient, probablement parce qu'ils se déchargeaient de la réflexion sur l'IA. Au-delà du battage médiatique, l'argumentaire en faveur de l'IA générative, deux ans après le succès retentissant de ChatGPT, semble s'affaiblir de jour en jour.
Apple, Nvidia, Google, Meta, et Microsoft : une relation de codépendance
Le rythme avec lequel OpenAI brûle de l'argent, les milliards de dollars dépensés par les géants du cloud computing pour mettre en place l'infrastructure nécessaire au développement de l'IA, les goulets d'étranglement dans l'approvisionnement des industries de l'énergie et des semiconducteurs, ainsi que les gains économiques discutables des outils d'IA sont autant d'éléments qui laissent présager une bulle dans le domaine de l'IA générative.
En cas d'éclatement de la bulle, les startups et les fonds de capital-risque risquent de disparaître, et une chute suffisamment importante pourrait faire paniquer des marchés frileux, entraînant une contagion plus large, compte tenu de la dépendance des marchés publics à l'égard de la croissance des Big Tech.
En 2024, seules sept entreprises (Apple, Nvidia, Tesla, Alphabet, Meta, Amazon, et Microsoft) se taillaient la part du lion dans la croissance de l'indice S&P 500, les 493 autres entreprises restant stables. Lorsque Nvidia a atteint sa capitalisation boursière maximale de 3 000 milliards de dollars au cours de l'été 2024, seulement cinq des sept entreprises (Microsoft, Apple, Nvidia, Alphabet et Amazon) représentaient 29 % de la valeur totale de l'indice.
Nvidia a connu un incroyable parcours haussier au cours des cinq dernières années, ses actions progressant de manière vertigineuse de 4 300 %, ce qui n'est pas sans rappeler la croissance de 4 500 % enregistrée par le fabricant d'équipements de réseau Cisco au cours des cinq années qui ont précédé son apogée, juste avant le krach de la bulle Internet en 2000. Selon les analystes, la bulle spéculative de l'IA pourrait se solder par un désastre.
Apple, Nvidia, Tesla, Alphabet, Meta, Amazon, et Microsoft entretiennent une relation de codépendance en ce qui concerne le battage médiatique autour de l'IA. Ils sont les plus gros clients de Nvidia et alimentent le mouvement haussier en poussant la demande de GPU au-delà même de ce que le fabricant de puces TSMC peut fournir. Selon Bryan McMahon, si la demande en matière d'IA devait chuter, les sept entreprises s'effondreraient avec elle.
L'éclatement de la bulle de l'IA pourrait avoir des conséquences dévastatrices
Selon Bryan McMahon, étant donné la dépendance du marché boursier à l'égard des entreprises technologiques pour sa croissance, l'élément déclencheur ne viendra peut-être pas de l'industrie de l'IA elle-même, mais tout recul des dépenses brisera la trajectoire actuelle de l'industrie. Les déclencheurs potentiels sont nombreux : un krach des cryptomonnaies, les guerres commerciales du président Trump avec le Canada, le Mexique et la Chine, etc.
Bryan McMahon cite aussi les causes suivantes : le projet du DOGE d'Elon Musk de réduire les dépenses publiques américaines de plus de 1 000 milliards de dollars, ou une invasion chinoise de Taïwan, où sont fabriquées près de 70 % des puces informatiques de pointe dans le monde. Selon Bryan McMahon, pour l'industrie technologique, DeepSeek représente une menace pour son incroyable cycle haussier, car la startup a prouvé trois choses :

Il a ajouté : « la Silicon Valley s'est transformée en entreprise et en gestionnaire ; même les fonds d'investissement privés investissent aujourd'hui dans la vallée. La fusion du capital-risque et de Wall Street menace de réunir la spéculation débridée de la finance non réglementée et l'effervescence de l'industrie technologique en une seule bulle massive. C'est désormais l'argent qui court après les fondateurs et non plus les fondateurs qui courent après l'argent ».
Une approche en contradiction avec l'ancienne éthique de la vallée. « Peut-être qu'une fois que les retombées de la bulle de l'IA se seront fait sentir et que le soleil se sera un peu couché sur la Silicon Valley, le monde de la technologie pourra faire une remise à zéro et revenir à ses jours les plus innovants », a-t-il ajouté.
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