
faut-il s’enthousiasmer ou s’inquiéter de l’avenir du métier de développeur ?
La start-up Anysphere, éditrice de l'environnement de développement assisté par intelligence artificielle Cursor, vient de boucler une levée de fonds de 900 millions de dollars, portant sa valorisation à 9 milliards de dollars. Ce bond spectaculaire, en seulement quelques mois, soulève des questions sur la pérennité de cette croissance et sur les implications de l'essor du « vibe coding », une nouvelle approche du développement logiciel qui consiste à décrire un programme en langage naturel (français par exemple) et demander au modèle d'IA de le traduire en code fonctionnel sans jamais comprendre comment le code fonctionne.
Cursor est un éditeur de code qui offre aux développeurs de multiples fonctionnalités basées sur l’intelligence artificielle. La startup travaille avec différents modèles, dont ceux d'Anthropic et d'OpenAI. Le PDG Michael Truell le décrit comme « Google Docs pour les programmeurs », un simple éditeur de code avec des modèles d’intelligence artificielle intégrés qui peuvent écrire, prédire et manipuler du code en n'utilisant rien d'autre qu'une invite de texte. En d’autres termes, Cursor permet de créer une application sans écrire de code.
Truell souligne que le but avec Cursor est l’automatisation de 95 % du travail d'un ingénieur afin qu'il puisse se concentrer sur les aspects créatifs du codage. Ces derniers peuvent ainsi « mettre sur pied des systèmes beaucoup plus complexes que ce que des équipes puissantes peuvent construire aujourd'hui. »
En 2024, des intervenants de la filière ont souligné néanmoins qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles même si l’outil est meilleur que l’association Visual Studio Code et CoPilot. « L’outil est bon pour les projets qui tiennent sur un seul fichier, mais difficile d’utilisation pour ceux avec plusieurs fichiers. De plus, il nécessite encore un codage manuel important », rapportait alors un développeur.
[TWITTER]<blockquote class="twitter-tweet"><p lang="en" dir="ltr">Cursor is overrated.<br><br>My honest take after trying it:<br>- Basically VSCode + CoPilot, but better<br>- Good with single file tasks, struggles across multiple files<br>- Still requires significant manual coding<br><br>It is not as crazy as it appears when scrolling through X.<br>Already use VSCode… <a href="https://t.co/c9YzuFubYv">pic.twitter.com/c9YzuFubYv</a></p>— Robin Faraj (@robin_faraj) <a href="https://twitter.com/robin_faraj/status/1828313134714487045?ref_src=twsrc%5Etfw">August 27, 2024</a></blockquote> <script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8"></script> [/TWITTER]
Cursor se présente comme une alternative enrichie à Visual Studio Code, intégrant une intelligence artificielle capable de générer, corriger et refactorer du code à partir de simples instructions en langage naturel. L’outil est capable de produire près d’un milliard de lignes de code par jour, selon ses concepteurs : « Cursor écrit près d'un milliard de lignes de code acceptées par jour. Pour mettre les choses en perspective, le monde entier ne produit que quelques milliards de lignes par jour ».
[TWITTER]<blockquote class="twitter-tweet"><p lang="en" dir="ltr">Cursor writes almost 1 billion lines of accepted code a day. <br><br>To put it in perspective, the entire world produces just a few billion lines a day.</p>— Aman Sanger (@amanrsanger) <a href="https://twitter.com/amanrsanger/status/1916968123535880684?ref_src=twsrc%5Etfw">April 28, 2025</a></blockquote> <script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8"></script> [/TWITTER]
Des perspectives prometteuses, mais des défis à relever
Malgré son succès, Cursor n’est pas exempt de critiques. Certains développeurs pointent du doigt des limitations, notamment dans la gestion de projets complexes ou existants, où l’outil serait moins performant que des solutions comme GitHub Copilot intégrées à des environnements tels que JetBrains
Par ailleurs, la pérennité de la croissance de Cursor dépendra de sa capacité à maintenir une base d’utilisateurs fidèle et à convertir l’engouement actuel en adoption à long terme. La concurrence s’intensifie, avec des acteurs comme Windsurf (ex-Codeium), récemment valorisé à 3 milliards de dollars, et des géants comme Microsoft qui renforcent leurs offres d’outils de développement assistés par IA.
D'ailleurs, Microsoft a décidé de restreindre l’utilisation de son extension C/C++ pour Visual Studio Code aux seules versions officielles de son éditeur. Les déclinaisons alternatives populaires de VS Code, telles que VSCodium ou Cursor, se retrouvent ainsi privées de cet outil indispensable, une décision qui suscite l’inquiétude dans la communauté du logiciel libre. Les développeurs qui discutent du problème dans le répertoire GitHub de Cursor ont noté que Microsoft a récemment mis en place une capacité d'agent logiciel d'IA concurrente, appelée Agent Mode, dans son logiciel Copilot.
Concrètement, les utilisateurs de forks comme VSCodium ou Cursor ont découvert qu’il leur était soudain impossible d’installer ou d’activer l’extension C/C++ dans leur éditeur alternatif. Lorsqu’ils tentaient de le faire, un message d’erreur explicite apparaissait, indiquant que l’extension « ne peut être utilisée qu’avec Microsoft Visual Studio, Visual Studio Code, Azure DevOps, Team Foundation Server et les produits Microsoft ». En d’autres termes, si l’environnement n’est pas un VS Code “officiel” (ou un autre outil estampillé Microsoft), l’extension refuse de fonctionner.
Par cette mise à jour, Microsoft a rendu exclusive son extension C/C++ à son propre écosystème, alors qu’auparavant, malgré des clauses de licence restrictives, rien n’empêchait techniquement de l’utiliser dans d’autres éditeurs basés sur VS Code. Officiellement, la licence d’utilisation de l’extension avait toujours stipulé qu’elle était réservée aux logiciels Microsoft (mais cette restriction n’était pas appliquée techniquement jusqu’à présent). Le passage à l’acte avec la version 1.24.5 change la donne : ce qui n’était qu’une condition théorique inscrite en petit caractère est devenu un verrou logiciel bien réel. Microsoft n’a pas fait d’annonce tonitruante sur le sujet, mais la communauté ne tarde pas à remarquer cette fermeture sans précédent dans l’univers VS Code.
Cette mesure intervient par ailleurs alors que Microsoft mise fortement sur ses propres solutions d’assistants de programmation par IA. La firme intègre par exemple GitHub Copilot (son service d’auto-complétion de code par intelligence artificielle) directement dans VS Code, et a récemment annoncé un nouveau mode « Agent » dopé à l’IA dans son éditeur. La concomitance du blocage de l’extension C/C++ avec le renforcement de ces fonctionnalités exclusives n’échappe pas aux observateurs. Certains y lisent une stratégie visant à préserver l’avance de Microsoft dans les outils de développement intelligents en évitant qu’un concurrent émergent comme Cursor (justement orienté IA) ne profite de ses technologies
[TWITTER]<blockquote class="twitter-tweet"><p lang="en" dir="ltr">Agent Mode is coming to ALL <a href="https://twitter.com/code?ref_src=twsrc%5Etfw">@code</a> users starting today! <a href="https://t.co/Nq7pXi1qIx">https://t.co/Nq7pXi1qIx</a></p>— Visual Studio Code (@code) <a href="https://twitter.com/code/status/1908207162322460710?ref_src=twsrc%5Etfw">April 4, 2025</a></blockquote> <script async src="https://platform.twitter.com/widgets.js" charset="utf-8"></script> [/TWITTER]
Un succès fulgurant pour les startups d'IA générative
Les assistants de codage ont connu un succès fulgurant parmi les start-ups d'IA générative, entraînant d'énormes gains de productivité pour les entreprises technologiques. Le mois dernier, Sundar Pichai, directeur général de Google, a déclaré que « bien plus de 30 % » du code soumis pour le développement de ses logiciels internes « implique des personnes qui acceptent des solutions suggérées par l'IA ». Le PDG de Microsoft, Satya Nadella, a déclaré que 20 à 30 % du code contenu dans les référentiels de l'entreprise était « écrit par un logiciel », c'est-à-dire par l'IA, lors d'une discussion avec le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, à l'occasion de la conférence LlamaCon de Meta.
Plusieurs start-ups spécialisées dans le codage de l'IA ont vu le jour depuis qu'OpenAI a lancé ChatGPT à la fin de 2022, notamment la société française Poolside et les sociétés Windsurf et Replit, basées dans la Silicon Valley.
Les entreprises fondatrices telles qu'OpenAI et Anthropic étant hors de portée des investisseurs les plus riches, les investisseurs en capital-risque se tournent de plus en plus vers les développeurs d'applications d'IA tels qu'Anysphere, l'application de recherche Perplexity et le générateur de vidéos Synthesia pour profiter de l'essor de l'IA.
Les start-ups d'applications d'IA ont levé 8,2 milliards de dollars en 2024, soit plus de deux fois plus que l'année précédente, selon les données de Dealroom.co et Flashpoint. De nombreuses applications d'IA d'entreprise ont rapidement généré des dizaines de millions de dollars de revenus, mais certains investisseurs craignent que cela ne reflète une expérimentation généralisée de l'IA parmi les entreprises, plutôt que des ventes récurrentes durables.
Quand coder devient discuter : la promesse du vibe coding
La montée en puissance de Cursor et d’outils similaires propulsés par l’intelligence artificielle remet en question les contours du métier de développeur. Si le "vibe coding" promet un code généré à la volée sur simple commande textuelle, il suscite aussi des inquiétudes : risque de désapprentissage, uniformisation du savoir-faire, perte d’autonomie technique. Entre révolution ergonomique et dérive potentielle, c’est tout un pan du monde professionnel qui vacille.
Le concept de vibe coding, popularisé par Andrej Karpathy, ancien chercheur d'OpenAI, désigne une nouvelle façon de programmer : on ne tape plus du code ligne après ligne, on discute avec une IA qui le fait pour nous. Grâce à des interfaces comme Cursor, le développeur devient davantage un « coach de l’IA », formulant des intentions en langage naturel pendant que le modèle LLM s’occupe de la traduction technique.
Ce paradigme promet une productivité accrue, une réduction des erreurs triviales, et l’accessibilité du développement à un public plus large. On imagine alors un futur où même des personnes non techniques pourraient concevoir des applications, guidées par une IA omnisciente.
Mais ce rêve d’accessibilité universelle cache une réalité plus ambivalente.
Un métier vidé de sa substance ?
La montée du vibe coding pourrait bien transformer radicalement le rôle des développeurs, mais pas nécessairement pour le meilleur. Si l’on n’a plus besoin de connaître la syntaxe, les structures de données, ni même les fondements de l’algorithmique pour produire un programme, que reste-t-il du savoir-faire d’un ingénieur logiciel ?
Le risque est double :
- Une perte progressive des compétences fondamentales : Les jeunes développeurs, formés dans un environnement où l’IA fournit les solutions clés en main, risquent de ne pas apprendre à « penser code », ni à comprendre ce qui se cache derrière les suggestions de l’IA.
- Une déqualification silencieuse : À mesure que l’IA prend en charge les tâches complexes, le rôle humain se réduit à corriger, tester ou surveiller le code généré. Une évolution qui évoque davantage l’automatisation industrielle que l’épanouissement intellectuel promis par le numérique.
Vers un monde de développeurs de surface ?
Une autre inquiétude tient à la standardisation du code. Les modèles d’IA étant formés sur des corpus massifs, ils tendent à reproduire des motifs récurrents, parfois obsolètes ou inadaptés à un contexte particulier. Le risque ? Un code générique, peu optimisé, sans âme — difficile à maintenir dans le temps.
Dans cette logique, les développeurs seraient incités à se conformer aux « attentes » de l’IA, à écrire pour le modèle, et non pour les humains ou les machines. Cette inversion du rapport créatif pourrait à terme appauvrir la diversité des approches, des styles et des architectures logicielles.
Conclusion : entre outil libérateur et menace structurelle
Le vibe coding, tel qu’incarné par Cursor, pose des questions cruciales sur l’avenir du travail dans le numérique. Oui, il peut libérer les développeurs de tâches répétitives. Oui, il peut accélérer la création logicielle. Mais sans réflexion appropriée, sans politique de formation adaptée, sans garde-fous techniques, il pourrait aussi appauvrir le métier, fragiliser les compétences, et réduire l’ingénieur à un simple « opérateur de l’IA ».
Le défi est donc moins technologique qu’humain : comment tirer parti de ces outils sans se rendre obsolète nous-mêmes ?
L'ascension de Cursor reflète une tendance de fond : l'intégration de l'IA dans les outils de développement devient une norme, transformant profondément les pratiques des ingénieurs logiciels. Si l'avenir dira si Cursor saura conserver son avance, son succès actuel témoigne de l'appétit du marché pour des solutions qui augmentent la productivité des développeurs et redéfinissent les paradigmes du codage
Source : Anysphere
Et vous ?








Vous avez lu gratuitement 232 articles depuis plus d'un an.
Soutenez le club developpez.com en souscrivant un abonnement pour que nous puissions continuer à vous proposer des publications.
Soutenez le club developpez.com en souscrivant un abonnement pour que nous puissions continuer à vous proposer des publications.