
Ce que l’usage massif de l’IA révèle sur notre capacité à rester des penseurs actifs
L’utilisation intensive des outils d’intelligence artificielle soulève la question d’une possible « paresse intellectuelle » : nos capacités cognitives sont-elles en perte de vitesse à force de déléguer ? Oui, selon Ethan Mollick, professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie, qui estime que « Les étudiants qui utilisent l'IA comme béquille n'apprennent rien ».
L'avènement de l'intelligence artificielle suscite un débat passionné et complexe quant à son impact sur l'intelligence humaine. Alors que certains craignent une « atrophie cérébrale » et une diminution de nos facultés cognitives, d'autres y voient un potentiel sans précédent pour l'augmentation de nos capacités mentales. Cette question, loin d'être anecdotique, touche aux fondements de notre identité cognitive et de notre évolution future.
Le phénomène dit « d'amnésie numérique » ou « effet Google » (le phénomène où l'on oublie des informations que l'on trouve facilement en ligne grâce à des outils numériques) révèle que « plus nous déléguons au numérique le soin de stocker ou de retrouver l’information, moins nous entraînons notre mémoire ». Ce constat alerte sur un affaiblissement général de nos fondations intellectuelles, ce qui nourrit la controverse : l’IA est-elle en train de ramollir notre cerveau, ou au contraire de libérer notre potentiel ?
Une utilisation grandissante en milieu scolaire
Un article récent s'est penché sur l'utilisation par les étudiants des technologies d'IA générative telles que ChatGPT. L'article a été rédigé par un administrateur technique de l'université de New York et il est rempli d'informations frappantes sur la façon dont l'IA ébranle les fondations des établissements d'enseignement.
Il n'est pas surprenant que les étudiants utilisent ChatGPT pour tout, depuis le résumé de textes complexes jusqu'à la rédaction complète de dissertations. Lorsqu'on a demandé à un étudiant pourquoi il s'appuyait autant sur l'IA générative pour réaliser son travail, il a répondu : « Vous me demandez d'aller d'un point A à un point B, pourquoi n'utiliserais-je pas une voiture pour m'y rendre ? »
La réflexion a interpelé un entrepreneur qui a tenté une analogie pour souligner la problématique :
Vous devez aller à l'épicerie. Elle est à 10 minutes à pied mais à 3 minutes en voiture. Pourquoi ne pas conduire ?
Eh bien, le seul avantage de conduire est de gagner du temps. C'est indéniable. Vous serez de retour à la maison et en train de préparer votre dîner avant même que la personne à pied n'arrive à l'épicerie. Félicitations. Vous avez gagné environ 20 minutes. Dans un monde où l'efficacité prime sur tout, c'est le meilleur choix. Utilisez ces 20 minutes supplémentaires à bon escient.
Mais quels sont les avantages de ne pas conduire, de prendre le temps supplémentaire et de marcher ?
Tout d'abord, il y a les avantages pour l'environnement. Ne pas utiliser une voiture inutilement, en rejetant des émissions dans l'air, soit directement par la combustion, soit indirectement pour les voitures électriques. Deuxièmement, le peu d'exercice que vous faites en marchant est bénéfique pour votre santé. Nos vies stationnaires nous tuent littéralement, aussi une promenade de 20 minutes par jour est-elle susceptible d'être incroyablement bénéfique pour votre santé.
Mais il existe aussi des avantages plus abstraits à tirer de ce court trajet du point A au point B. La marche nous relie à notre quartier. Elle ralentit les choses. Elle nous aide à mieux comprendre la communauté et l'environnement dans lesquels nous vivons. Une étude récente a résumé les avantages de la marche dans le voisinage, suggérant que cette pratique permet de renforcer les liens sociaux et de réduire le sentiment d'isolement.
Eh bien, le seul avantage de conduire est de gagner du temps. C'est indéniable. Vous serez de retour à la maison et en train de préparer votre dîner avant même que la personne à pied n'arrive à l'épicerie. Félicitations. Vous avez gagné environ 20 minutes. Dans un monde où l'efficacité prime sur tout, c'est le meilleur choix. Utilisez ces 20 minutes supplémentaires à bon escient.
Mais quels sont les avantages de ne pas conduire, de prendre le temps supplémentaire et de marcher ?
Tout d'abord, il y a les avantages pour l'environnement. Ne pas utiliser une voiture inutilement, en rejetant des émissions dans l'air, soit directement par la combustion, soit indirectement pour les voitures électriques. Deuxièmement, le peu d'exercice que vous faites en marchant est bénéfique pour votre santé. Nos vies stationnaires nous tuent littéralement, aussi une promenade de 20 minutes par jour est-elle susceptible d'être incroyablement bénéfique pour votre santé.
Mais il existe aussi des avantages plus abstraits à tirer de ce court trajet du point A au point B. La marche nous relie à notre quartier. Elle ralentit les choses. Elle nous aide à mieux comprendre la communauté et l'environnement dans lesquels nous vivons. Une étude récente a résumé les avantages de la marche dans le voisinage, suggérant que cette pratique permet de renforcer les liens sociaux et de réduire le sentiment d'isolement.
La vulnérabilité des jeunes utilisateurs
Des études récentes ont révélé une corrélation négative significative entre l'utilisation fréquente des outils d'IA et les compétences en pensée critique. Il a été observé que les utilisateurs ont tendance à s'appuyer sur l'IA sans évaluer activement ses contributions, en particulier pour les tâches routinières ou de faible importance. Cela signifie que lorsque l'IA prend en charge des tâches de raisonnement complexes, le cerveau humain est moins sollicité pour ces processus. Cette sous-utilisation conduit à une diminution de la pratique et de l'affinement des compétences de pensée critique, agissant de manière analogue à une atrophie musculaire due à un manque d'exercice. Si l'IA fournit des réponses ou des solutions sans que l'utilisateur ne comprenne ou ne vérifie le processus sous-jacent, le besoin de raisonnement analytique diminue
Une observation particulièrement préoccupante concerne la vulnérabilité des jeunes utilisateurs. Des recherches ont montré que les participants plus jeunes, spécifiquement ceux âgés de 17 à 25 ans, présentent une dépendance plus élevée aux outils d'IA et des scores de pensée critique plus faibles par rapport aux groupes d'âge plus âgés. Cette tendance met en évidence une urgence pédagogique. Si la jeune génération développe une dépendance précoce sans être formée à l'esprit critique, cela aura des répercussions majeures sur la résolution de problèmes, l'innovation et la résilience cognitive à l'échelle sociétale. L'éducation devient ainsi un rempart essentiel contre cette potentielle « paresse cérébrale » induite par l'IA, nécessitant le développement de stratégies pour enseigner non seulement comment utiliser l'IA, mais surtout comment s'engager de manière critique avec elle.
L'atrophie des compétences et la « paresse cérébrale » en milieu professionnel
D’autre part, l’IA risque de saper les fondamentaux des professionnels qui l’utilisent.
Une étude récente menée par des chercheurs de Microsoft et de l’Université Carnegie Mellon a révélé que l’utilisation croissante de l’IA générative au travail peut entraîner une diminution de la pensée critique chez les employés. Les participants à l’étude, composés de 319 travailleurs du savoir, ont rapporté 936 exemples d’utilisation de l’IA générative dans leurs tâches professionnelles. Les résultats indiquent que plus les travailleurs ont confiance dans la capacité de l’IA à accomplir une tâche, moins ils font preuve de pensée critique.
Cette dépendance accrue à l’IA pourrait entraîner une « atrophie » des facultés cognitives, laissant les individus moins préparés à gérer des situations exceptionnelles ou complexes. Les chercheurs soulignent que cette tendance est préoccupante, car elle peut réduire l’engagement critique, en particulier dans les tâches routinières ou de faible importance, où les utilisateurs se contentent de s’appuyer sur l’IA sans évaluer activement ses contributions.
Un autre rapport met en garde : déléguer trop notre faculté de raisonnement peut « poser un vrai problème cognitif, avec le risque d’atrophie des zones de notre cerveau dédiées à la prise de décision ». Dans le contexte du développement logiciel, il est vrai qu’un outil comme GitHub Copilot peut rendre la programmation plus rapide à court terme, mais cela alimente la crainte d’un appauvrissement des compétences techniques. Les auteurs du rapport soulignent ainsi « qu'alors que l’un des usages les plus courants des IA génératives s’est porté sur la programmation, […] l’IA, en facilitant certaines tâches, peut involontairement engendrer une dépendance et une baisse de maîtrise des fondamentaux ». En pratique, un jeune développeur qui copie-colle les propositions d’une IA sans compréhension risque de manquer les concepts essentiels du code, un peu comme un élève qui utilise une calculatrice sans jamais apprendre les tables de multiplication.
Comme pour illustrer ce phénomène, Namanyay, un professionnel de l'informatique, estime que « l'IA est en train de créer une génération de programmeurs illettrés » après avoir partagé son ressenti sur sa propre utilisation de l'IA lorsque Cursor est tombé en panne.
En milieu professionnel, le recours à l’IA peut s’apparenter à une perte de savoir-faire. Le guide LaborIA sur l’IA au travail note que si l’automatisation est pensée uniquement pour la productivité, « l’automatisation partielle du travail conduit à une désactivation du savoir-faire cœur de métier pour les salariés ». Autrement dit, le salarié finit par superviser l’IA au lieu de mettre en œuvre lui-même son expertise. Cette situation entraîne un « désengagement sensoriel » et une « réduction de la flexibilité cognitive » : en laissant l’outil décider des détails techniques, on n’exerce plus son propre sens critique ni ses compétences pratiques. Au final, l’IA devient une béquille qui fait atrophier la réflexion active et l’apprentissage de nouveaux savoir-faire chez ceux qui s’y reposent sans recul.
L’IA, un levier de productivité et de créativité
Au contraire, de nombreux experts voient dans l’IA un tremplin pour l’intelligence humaine. Au lieu de remplacer la pensée, l’IA peut libérer du temps et stimuler l’imagination. Les études empiriques sont là pour étayer cet optimisme. Par exemple, une étude McKinsey a montré que les développeurs peuvent réaliser certaines tâches de codage jusqu’à deux fois plus rapidement grâce à l’IA générative. De même, un travail du MIT Sloan constate qu’un professionnel hautement qualifié voit ses performances progresser d’environ 40 % lorsqu’il utilise l’IA de manière appropriée. Ces gains de temps proviennent généralement de la délégation des tâches répétitives ou triviales : documentation du code, refactoring automatique, nettoyage de données, etc. Les ingénieurs peuvent ainsi consacrer une plus grande part de leur effort aux problèmes complexes de conception ou d’optimisation.
En libérant les développeurs de la routine, l’IA favorise en réalité leur créativité. Comme le souligne Sylvain Montmory, « lorsqu’elle prend en charge les tâches les plus techniques, l’IA […] libère pour imaginer, innover et résoudre des problèmes complexes ». Concrètement, cela signifie que l’IA devient un collaborateur intellectuel : un algorithme d’AutoML peut tester d’innombrables modèles mathématiques en quelques minutes, laissant au data scientist le loisir d’analyser les résultats et d’inventer de nouveaux critères. Un ingénieur réseau peut utiliser l’IA pour simuler des architectures réseau optimisées, puis se focaliser sur les aspects stratégiques de résilience et de sécurité. Ce partenariat humain-machine crée une performance inédite, en associant l’intuition et l’expérience humaine à la puissance de calcul de l’IA
Plus généralement, l’IA accélère les processus créatifs. Un ingénieur note que « l’IA améliore les flux de travail créatifs en accélérant les processus d’idéation et d’exécution » et que son intégration stratégique « amplifie la créativité humaine plutôt que de la remplacer ». Dans les métiers de l’informatique, cela se traduit par la capacité à prototyper et itérer plus vite sur des projets complexes. Par exemple, un data scientist qui obtient rapidement des visualisations automatiques de données peut formuler de nouvelles hypothèses métier, et un développeur peut esquisser en quelques minutes une interface utilisateur fonctionnelle qu’il peaufinera ensuite. L’IA devient ainsi un catalyseur de talents : elle automatise la partie la plus laborieuse pour recentrer l’humain sur les aspects conceptuels, stratégiques et collaboratifs de son travail.
Conclusion
L'intelligence artificielle représente indéniablement une "arme à double tranchant" pour l'esprit humain. Si les arguments en faveur d'un déclin cognitif, tels que le déchargement cognitif, l'atrophie des compétences et les implications sociales négatives, sont étayés par des recherches solides, il est tout aussi clair que l'IA offre un potentiel immense pour l'augmentation de nos capacités.
L’image provocatrice d’un cerveau ramolli par l’IA est sans doute exagérée. Ramenée au rang d’outil, l’intelligence artificielle n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Tout dépend de l’usage que nous en faisons. Si l’on se contente de s’en remettre aveuglément à l’IA, on peut effectivement voir s’installer une dépendance et une érosion des compétences fondamentales. Mais si l’on adopte l’IA en méthode de travail complémentaire, elle permet au contraire de gagner du temps pour l’apprentissage continu, l’analyse critique et la créativité. Dans la pratique, cela implique de réinvestir une partie du temps gagné dans la formation et la maîtrise des bases.
À moyen terme, les entreprises et les professionnels devront donc cultiver cette vigilance : enseigner les fondamentaux hors de l’assistance technologique tout en tirant parti des atouts de l’IA. L’IA peut alors devenir un véritable « allié cognitif » plutôt qu’une béquille. En d’autres termes, l’IA peut augmenter nos capacités si nous restons acteurs de notre réflexion.
Sources : Les outils d'IA dans la société : Impacts sur le délestage cognitif et l'avenir de la pensée critique, Penser ou ne pas penser : l'impact de l'IA sur les capacités de réflexion critique, Microsoft, LaborIA, McKinsey, MIT
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