
perte de contrôle, crise de l’emploi et prise d’otage des bénéfices par l’élite économique
Depuis des années, le sénateur Bernie Sanders incarne une voix critique du capitalisme débridé et des inégalités croissantes aux États-Unis. Mais en 2025, ce sont les avancées spectaculaires de l’intelligence artificielle qui mobilisent son énergie et ses inquiétudes. Lors d’un entretien récent, le sénateur du Vermont a exprimé ce qu’il appelle le « scénario apocalyptique de l’IA », redouté non seulement par lui mais aussi par certains des experts les plus respectés du domaine.
À ses yeux, le problème n’est pas seulement technologique : il est fondamentalement politique. Sans intervention forte, l’intelligence artificielle risque de renforcer les dynamiques d’exploitation, démanteler le marché de l’emploi, et surtout accroître la concentration extrême de richesses au sommet de la pyramide sociale. Le tout, sous couvert de progrès.
La première dimension des préoccupations de Bernie Sanders concernant l'IA touche à la capacité de l'humanité à maintenir le contrôle sur des systèmes de plus en plus sophistiqués, évoquant des risques existentiels profonds.
Bernie Sanders affirme s’être entretenu avec des spécialistes de l’intelligence artificielle de renommée internationale. L’un d’entre eux lui a confié craindre que les êtres humains « perdent totalement le contrôle » des systèmes qu’ils ont créés. Selon Sanders, ce scénario dystopique, longtemps cantonné à la science-fiction, est désormais considéré comme plausible, voire probable, par une partie de la communauté scientifique.
« Certaines des personnes les plus intelligentes de ce pays sont terrifiées par ce qu’il se passe. Elles craignent que nous soyons en train de mettre en place une machine que nous ne pourrons plus contrôler », a-t-il confié à Gizmodo.
Le « problème de l'alignement » est au cœur de ces craintes
Il s'agit de s'assurer que les systèmes d'IA, en particulier l'Intelligence Artificielle Générale (AGI) ou la Superintelligence Artificielle, adoptent des objectifs et des valeurs qui sont compatibles avec les objectifs et les valeurs humaines
Dans cette optique, OpenAI a mis sur pieds en 2023 une division chargée de créer une IA qui va contrôler le développement de la superintelligence.
« Le pouvoir immense de la superintelligence pourrait … conduire au déclassement de l’humanité ou même à son extinction », ont écrit dans un billet de blog le co-fondateur d’OpenAI, Ilya Sutskever, et celui qui en fût le responsable, Jan Leike. « Actuellement, nous n’avons pas de solution pour orienter ou contrôler une IA potentiellement superintelligente, et l’empêcher de devenir incontrôlable ».
La superintelligence (des systèmes plus intelligents que les humains) pourrait arriver cette décennie, ont prédit les auteurs du billet de blog. Les humains auront besoin de meilleures techniques que celles actuellement disponibles pour pouvoir contrôler la superintelligence, d’où la nécessité de percées dans la recherche sur « l’alignement », qui se concentre sur le fait de garantir que l’IA reste bénéfique aux humains, selon les auteurs.

L'AGI n'étant « pas encore imminente » selon certains chercheurs, ils suggèrent de s'attaquer d'abord aux problèmes plus urgents posés par l'IA
Bien que les risques existentiels soient une préoccupation croissante, certains experts estiment que les systèmes d'IA actuels ne sont pas encore assez proches de la capacité de menacer l'humanité de manière existentielle. Ils soutiennent que des problèmes plus urgents, comme les biais algorithmiques, les risques de confidentialité des données, la désinformation et les impacts sociaux et économiques immédiats, devraient être prioritaires compte tenu des ressources limitées.
Il existe un débat sur le fait que les améliorations technologiques de l'IA auraient ralenti récemment, contredisant l'idée d'une AGI imminente. Certains experts estiment que les modèles entraînés sur le langage seul ne pourront jamais atteindre l'intelligence humaine et que l'approche devrait se concentrer sur l'interaction directe avec l'environnement.
D'ailleurs, en parlant des problèmes plus urgents à gérer, la France a ouvert une enquête pénale inédite contre X (anciennement Twitter) suite à des allégations d'ingérence étrangère présumée, qui serait facilitée par l'algorithme de recommandation
L’un des axes de l’enquête concerne le fonctionnement opaque de l’algorithme de X, qui détermine la visibilité des contenus via le fil « Pour vous ». Des chercheurs affirment avoir identifié des patterns de diffusion anormaux, où certains récits politiques (notamment climatosceptiques, anti-OTAN, pro-Kremlin ou anti-immigration) ont bénéficié d’un effet de levier algorithmique disproportionné.
Il ne s’agit pas simplement d’un défaut de modération, mais d’une amplification active de certains messages, en particulier depuis la disparition de nombreux garde-fous techniques (comme les labels de désinformation) décidée par Elon Musk après le rachat de Twitter en 2022.
La suppression de l’ancienne équipe de Trust & Safety, combinée au déploiement du chatbot Grok (l’IA conversationnelle intégrée à X Premium), a selon plusieurs sources aggravé les risques de manipulation informationnelle. Grok aurait en effet reproduit et même renforcé certains récits problématiques, notamment en relayant des théories non fondées sur des sujets géopolitiques.
Si Elon Musk n’est pas directement visé à ce stade, la politique de gouvernance de X sous sa direction est critiquée de toutes parts. Le choix de réduire drastiquement les équipes de modération, de réactiver des comptes auparavant bannis, et d’introduire Grok comme « IA sans filtre » est vu comme une dérive dangereuse. Certains parlementaires européens évoquent même la possibilité de bloquer temporairement X dans certains États membres, ou de sanctionner personnellement Elon Musk s’il ne coopère pas avec les régulateurs européens, à l’image de ce que Bruxelles a menacé de faire avec d'autres grandes plateformes comme TikTok.
Une question politique : à qui profite l’intelligence artificielle ?
Sanders ne se contente pas de craindre une prise de pouvoir des machines. Il redoute davantage une captation des bénéfices par la classe dominante. Pour lui, l’IA ne menace pas d’abord l’humanité en tant qu’espèce, mais les travailleurs en tant que classe.
« Ce qui me terrifie, c’est que l’IA va être utilisée pour accroître encore davantage les profits des milliardaires, pendant que des millions de travailleurs seront licenciés, appauvris ou rendus obsolètes », martèle-t-il.
Selon lui, les leçons du passé sont claires. L’essor de la productivité au XXe et XXIe siècle n’a pas bénéficié équitablement à l’ensemble de la population. La richesse créée par les progrès technologiques, de l’informatisation à l’automatisation industrielle, a été accaparée par les grandes entreprises et leurs actionnaires. L’intelligence artificielle risque, selon Sanders, de pousser cette logique à son extrême.

Alors que les entreprises spécialisées dans l'IA vantent les capacités de leurs produits à révolutionner notre manière de travailler et à augmenter notre productivité, le sénateur américain Bernie Sanders souhaite que l'industrie technologique joigne le geste à la parole en matière d'automatisation. Bernie Sanders estime que le temps gagné grâce aux puissants outils d'IA devrait être rendu aux travailleurs pour qu'ils puissent le consacrer à leur famille.
Bernie Sanders est revenu sur le sujet dans un récent épisode du podcast de Joe Rogan. « La technologie va travailler pour nous améliorer, et pas seulement pour les personnes qui possèdent la technologie et les dirigeants des grandes entreprises. Vous êtes un travailleur, votre productivité augmente parce que nous vous donnons l'IA, n'est-ce pas ? Au lieu de vous jeter à la rue, je vais réduire votre semaine de travail à 32 heures », a déclaré Bernie Sanders.
Il soutient un projet de loi qui réduirait la durée légale du travail de 40 à 32 heures, en imposant les heures supplémentaires au-delà de 32 heures. Les employeurs seraient tenus de rémunérer les heures supplémentaires des salariés non exemptés à hauteur d'une fois et demie le taux horaire pour chaque heure travaillée au-delà de huit heures au cours d'une même journée, et de deux fois le taux horaire pour chaque heure travaillée au-delà de douze heures.
Le projet de loi garantit que le total des salaires hebdomadaires ne sera pas réduit en raison de la diminution du nombre total d'heures travaillées. Il a été présenté par les sénateurs Sanders et Laphonza Butler. Le député Mark Takano a présenté un projet de loi similaire à la Chambre des représentants.
Une menace existentielle pour l’emploi
Bernie Sanders prévient que l’IA pourrait provoquer une crise du marché du travail bien plus violente que celle de la révolution industrielle. Alors que l’automatisation concernait principalement les tâches manuelles dans les usines ou les chaînes logistiques, l’IA générative menace désormais les métiers du tertiaire, de la rédaction à la programmation, en passant par le service client et même certaines fonctions médicales ou juridiques.
Dans ce contexte, Sanders réaffirme la nécessité de mesures fortes pour préserver la dignité des travailleurs.
Bernie Sanders critique ouvertement les dirigeants technologiques et les entreprises pour avoir « privilégié les profits au détriment du bien-être de leurs employés ». Il craint que l'IA ne fasse qu'enrichir davantage la « classe des milliardaires » et souligne que la productivité accrue due à l'IA devrait également bénéficier aux travailleurs, et non « seulement aux personnes qui possèdent la technologie et aux PDG des grandes entreprises ». Cette vision s'oppose directement à la tendance des entreprises technologiques à annoncer des profits records tout en procédant à des licenciements.
La vision de Sanders positionne l'IA non pas comme une force technologique neutre, mais comme un amplificateur des dynamiques capitalistes existantes, où la maximisation du profit l'emporte sur le bien-être social et la justice distributive. Selon certains spécialistes, l'IA, dans un cadre non régulé, ne ferait qu'accélérer une tendance déjà présente dans le système économique actuel : celle d'une concentration des richesses et d'une indifférence aux coûts sociaux, menant à une forme de « technofascisme ». Pour Sanders, l'IA est le catalyseur qui pourrait pousser cette dynamique à son paroxysme, rendant la redistribution des bénéfices technologiques impérative.
Source : entretien avec Bernie Sanders
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