
Lorsque Satya Nadella, PDG de Microsoft, a déclaré pour la première fois en décembre dernier que les applications SaaS destinées aux entreprises étaient obsolètes, cela a provoqué une onde de choc dans le monde des logiciels d'entreprise. Aujourd'hui, Charles Lamanna, vice-président de Microsoft chargé des applications et des plateformes professionnelles, renforce cette vision avec un calendrier et une feuille de route à la fois ambitieux et controversés.
Charles Lamanna a récemment participé au podcast « Founded and Funded » de la société de capital-risque Madrona. Il a répondu aux questions du directeur général de Madrona, S. Somasegar (alias Soma), sur l'impact de l'IA sur les entreprises. Charles Lamanna n'a pas mâché ses mots.
Charles Lamanna estime que les applications commerciales traditionnelles deviendraient les mainframes des années 2030 : « toujours en fonctionnement, consomment toujours des budgets, mais sont des reliques sclérosées d'une époque révolue ». Il a déclaré que les logiciels d'entreprise basés sur le Web n'ont pas beaucoup évolué depuis les années 1980. Toutefois, dans la communauté, très peu de personnes partagent son point de vue sur la mort du SaaS.
Il pense que l'avenir appartient aux agents d'IA qui ne suivent pas des flux de travail ou des formulaires rigides, mais s'adaptent de manière dynamique aux utilisateurs et aux objectifs, discutent dans un langage simple et naviguent dans de vastes ensembles de données grâce à des bases de données vectorielles. Le dirigeant de Microsoft estime que cette transition sera codifiée dans les dix-huit prochains mois et largement adoptée d'ici la fin de la décennie.
Une prédiction audacieuse qui divise les observateurs du secteur
La prédiction audacieuse de Charles Lamanna a suscité beaucoup d'étonnement dans un secteur connu pour évoluer à un rythme extrêmement lent lorsqu'il s'agit d'argent réel. Jusqu'à présent, très peu de projets d'IA générative d'entreprise ont été menés à terme, en dépit des dépenses pharaoniques. Les centres d'appels qui ont remplacé leurs personnels par l'IA font marche arrière, car les assistants d'IA créent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent.
Même des partenaires de Microsoft se montrent prudents face à l'engouement excessif de Charles Lamanna. Rocky Lhotka, MVP Microsoft et vice-président de la stratégie chez Xebia, a exprimé son scepticisme quant à l'échéance fixée à 2030. « À mon avis, c'est très ambitieux et optimiste », a-t-il déclaré.
Rocky Lhotka a déclaré : « les entreprises qui réalisent d'importants investissements en capital (industrie manufacturière, transport, construction) ne peuvent pas simplement se débarrasser de leurs employés, machines et autres équipements existants pour les remplacer par des agents virtuels ». Mais Microsoft insiste. Au cours des dernières années, l'entreprise a déployé une stratégie agressive visant à pousser les utilisateurs à adopter l'IA générative.

Le défi de la mise en œuvre de cette vision dans le monde réel
La vision des plateformes natives d'agents se heurte à des défis clés. Comme le souligne Mary Foley, rédactrice en chef de Directions on Microsoft, « remplacer les formulaires et les tableaux de bord par des interfaces en langage naturel est une chose, mais transformer les flux de travail existants en un ensemble d'agents interconnectés en est une autre, surtout lorsqu'il faut prendre en charge et migrer d'importants clients et charges de travail héritées ».
Richard Campbell, fondateur de Campbell & Associates et MVP Microsoft de longue date, offre une vision plus nuancée. Il a déclaré qu'il ne s'agit pas de remplacer les applications, mais de les repenser entièrement. Selon Richard Campbell, cette évolution redéfinira les logiciels. Il estime que si les grands modèles de langage (LLM) peuvent interpréter vos communications et vos données de vente, ils peuvent fonctionnellement remplacer votre CRM.
Tout le monde n'est pas convaincu que ce changement se fera en douceur, ni même qu'il soit souhaitable. Rocky Lhotka soulève des inquiétudes concernant le déterminisme et l'innovation. Il a souligné les limites actuelles des grands modèles de langage et les erreurs graves qu'ils commettent souvent.

Charles Lamanna rassure et affirme que le soutien de l'industrie est fort. Il cite l'adoption croissante de protocoles ouverts tels que MCP et A2A, qui, selon lui, ont connu un alignement sans précédent depuis l'époque du HTML et du HTTP. C'est le genre de déclaration ambitieuse qui précède généralement une guerre des normes, et non l'inverse. Toutefois, le dirigeant de Microsoft n'a pas fourni de chiffres concrets pour étayer ces déclarations.
La voie à suivre : trois clés du succès selon Microsoft
Malgré la controverse suscitée par cette vision, Microsoft réfléchit déjà à une feuille de route. Pour les entreprises qui souhaitent mener à bien cette transformation, Charles Lamanna propose trois facteurs de succès essentiels basés sur les tendances observées chez les clients de Microsoft :
- contraintes en matière de ressources : les entreprises qui réussissent créent délibérément une pression budgétaire afin de stimuler de véritables améliorations de la productivité plutôt que des changements progressifs ;
- démocratisation : « tous vos utilisateurs, où qu'ils se trouvent, qu'ils soient techniciens ou non, doivent se familiariser avec ces outils et les utiliser quotidiennement. Les entreprises qui limitent l'IA aux équipes techniques ou aux projets pilotes ne parviennent pas à se transformer. Les entreprises qui rencontrent des difficultés sont celles qui ne mettent pas l'IA à la portée de tous au quotidien », explique-t-il ;
- concentration : « plutôt que de disperser leurs efforts dans des centaines d'initiatives, les entreprises qui réussissent mènent à bien cinq projets, avec beaucoup d'énergie et dans un souci d'amélioration continue », explique Charles Lamanna.
La surexcitation à l'égard de l'IA se solde par une grande désillusion
Fin 2023, Gartner a placé l'IA générative au sommet des attentes exagérées en matière de technologies émergentes. Les faits récents sur le terrain le confirment quand on prend en compte que certaines entreprises s’appuient sur des humains en arrière-plan pour simuler l’IA. Les capacités de l’IA sont surestimées comme le met en avant une récente étude selon laquelle les assistants d’IA des centres d’appels créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.
Les résultats de l'étude ne présentent pas l'IA comme la technologie d'assistance miracle souvent décrite par ses créateurs. L'une des principales critiques concernait la transcription des appels audio des clients en texte. Un nouveau rapport du MIT révèle que 95 % des projets pilotes d'IA générative en entreprise échouent, en raison de difficultés de développement en interne, d'objectifs flous, de données de mauvaise qualité et d'un engouement excessif.
Selon le rapport du MIT, les outils prêts à l'emploi des fournisseurs réussissent plus souvent, avec un taux de réussite de 20 à 30 %. Pour prospérer, les entreprises doivent donner la priorité aux solutions éprouvées, à la gouvernance des données et à des objectifs alignés pour créer de la valeur à long terme.
Par ailleurs, après avoir passé des années à prédire l'hécatombe sur le marché du travail pour les développeurs, Sam Altman, PDG d'OpenAI, change de discours et affirme désormais que le monde a peut-être besoin de plus de développeurs et de logiciels. « Le monde veut une quantité gigantesque de logiciels, peut-être 100 fois, voire 1 000 fois plus...
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