
la banque alerte sur l'excès d'optimisme autour de l'IA et évoque une désillusion financière massive
L’IA a porté Wall Street vers des sommets inédits, transformant Nvidia et les géants de la tech en locomotives boursières. Mais selon Goldman Sachs, cette course folle n’est pas éternelle. La banque anticipe un ralentissement inévitable de la productivité liée à l’IA, susceptible d’entraîner une correction brutale des marchés. Le S&P 500, dépendant de quelques valeurs phares, pourrait alors perdre jusqu’à 20 %. Un avertissement qui rappelle la fragilité des cycles d’innovation et l’importance de distinguer entre promesse technologique et réalité économique.
Depuis le lancement de ChatGPT il y a plus de deux ans, l'intelligence artificielle générative est sur toutes les lèvres. Des géants de la tech aux start-up les plus audacieuses, tout le monde s'est mis à rêver de cette nouvelle révolution. Les chiffres donnent le vertige : des milliards de dollars investis, des valorisations qui s'envolent et un marché boursier enivré par les promesses d'un futur radieux. Les promesses sont immenses : réinventer la productivité, automatiser la créativité, transformer la manière dont nous travaillons. Mais derrière l’emballement médiatique et financier, des signaux inquiétants s’accumulent.
Aussi, des voix de plus en plus nombreuses murmurent la même inquiétude : sommes-nous en train de vivre la formation d'une nouvelle bulle, prête à éclater ? Plusieurs analystes estiment que nous vivons actuellement une bulle spéculative comparable à celle des dot-com au début des années 2000.
Une étude récente du MIT fait l’effet d’une douche froide : 95 % des projets en intelligence artificielle générative échouent à créer de la valeur mesurable. Autrement dit, seule une poignée de cas d’usage parvient réellement à générer un retour sur investissement tangible. « Malgré les 30 à 40 milliards de dollars investis par les entreprises dans l'IA générative, ce rapport révèle un résultat surprenant : 95 % des organisations n'obtiennent aucun retour sur investissement », ont écrit les chercheurs du MIT.
Le mirage de la croissance infinie
L’intelligence artificielle est devenue le carburant le plus puissant de Wall Street. En l’espace de deux ans, elle a dopé les valorisations de Microsoft, Meta, Alphabet et surtout Nvidia, transformée en véritable totem boursier. Chaque trimestre, ces entreprises annoncent des résultats astronomiques, nourris par une demande insatiable en puissance de calcul et en solutions logicielles. Pour beaucoup d’investisseurs, la trajectoire semble tracée : une croissance sans frein, une révolution économique comparable à l’électricité ou à l’informatique personnelle.
Mais derrière cet optimisme quasi dogmatique, Goldman Sachs apporte une note de réalisme. Selon la banque, la dynamique actuelle repose sur une illusion de continuité. La productivité générée par l’IA (c’est-à-dire sa capacité à accroître l’efficacité des entreprises et à stimuler les profits) ne pourra pas rester éternellement exponentielle. Un ralentissement est « inévitable ». Et s’il intervient plus tôt que prévu, l’effet de correction pourrait être violent : jusqu’à 20 % de chute sur le S&P 500.
Pourquoi Goldman Sachs craint une secousse
L’argument central est lié à la manière dont les marchés fonctionnent. Les investisseurs ne paient pas seulement pour des bénéfices actuels mais pour des bénéfices futurs anticipés. Or, dans le cas de l’IA, ces anticipations ont atteint des niveaux vertigineux. Les multiples de valorisation appliqués aux entreprises de la tech reposent sur l’idée que les gains de productivité de l’IA vont continuer à se diffuser massivement, dans tous les secteurs de l’économie.
Si la diffusion ralentit – par exemple parce que certaines industries tardent à adopter ces technologies, ou parce que les coûts d’implémentation restent prohibitifs – la promesse de rentabilité pourrait se révéler en partie illusoire. Pour Goldman Sachs, ce scénario ne relève pas de la science-fiction : c’est une trajectoire classique d’innovation, où après une phase d’explosion vient une phase de consolidation, parfois brutale.
Des précédents historiques inquiétants
La comparaison avec la bulle Internet s’impose presque naturellement. À la fin des années 1990, les investisseurs misaient sur la révolution numérique sans toujours distinguer les modèles viables des mirages. Lorsque la réalité économique a rattrapé l’euphorie, le Nasdaq s’est effondré de près de 80 % en deux ans. Certains analystes rappellent aussi l’épisode des énergies renouvelables, où l’enthousiasme pour une transition énergétique rapide a propulsé certaines valeurs vers des sommets… avant que la rentabilité réelle ne déçoive. Dans les deux cas, le schéma était identique : un emballement spéculatif suivi d’un retour à la réalité.
Au tournant des années 2000, la bulle Internet avait vu les valorisations de jeunes pousses s’envoler à des niveaux absurdes. Beaucoup de ces sociétés ont ensuite disparu. Aujourd’hui, on retrouve les mêmes ingrédients avec l’IA :
- Des investissements colossaux (plus de 500 milliards de dollars injectés en deux ans par les GAFAM).
- Des revenus modestes en retour (35 milliards estimés en plus, soit un écart énorme).
- Une frénésie médiatique où chaque entreprise se doit d’annoncer son « plan IA » pour rester crédible.
Les entreprises cotées en bourse se sont empressées d'annoncer des investissements dans l'IA ou de revendiquer des capacités d'IA pour leurs produits dans l'espoir de faire grimper le cours de leurs actions, tout comme la génération précédente d'entreprises s'était présentée comme des « dot-coms » dans les années 1990 afin de paraître plus attrayantes aux yeux des investisseurs.
Nvidia, le fabricant d'une puce haute performance alimentant la recherche en IA, joue presque le même rôle que celui joué par Intel Corp., un autre fabricant de puces, dans les années 1990 en tant que leader boursier, contribuant à soutenir le marché haussier des actions.
« Cela semble logique pour une bulle », a déclaré Marko Kolanovic, ancien directeur de recherche chez JP Morgan.
Le MIT a constaté que malgré des investissements massifs dans les logiciels d'IA, la moitié des projets se sont soldés par un échec. Il a indiqué que 80 % des entreprises avaient exploré la technologie de l'IA, mais que seulement 40 % l'avaient déployée. Il ajoute que les « systèmes de niveau entreprise » ont été « discrètement rejetés » par les grandes entreprises et que seulement « 20 % ont atteint le stade pilote et 5 % seulement ont atteint le stade de la production ».
La grande question est de savoir si l’IA connaîtra la même trajectoire, ou si elle saura éviter ce piège grâce à une adoption réellement transversale et durable.
La fragilité d’un marché concentré
Un autre facteur amplificateur est la concentration du S&P 500. Jamais dans l’histoire moderne des marchés américains un si petit nombre d’entreprises n’a autant pesé dans la capitalisation globale. Les « Magnificent Seven » – Microsoft, Apple, Nvidia, Alphabet, Meta, Tesla et Amazon – représentent à elles seules plus d’un quart de l’indice.
Dans ce contexte, tout ralentissement de la croissance liée à l’IA toucherait en priorité ces mastodontes. Et leur poids est tel que le reste du marché ne pourrait pas compenser. L’effet domino serait immédiat : un ajustement sur Nvidia, par exemple, pourrait suffire à déclencher une vague de ventes sur l’ensemble des valeurs technologiques, entraînant avec elles l’indice global.
Les incertitudes qui pèsent sur l’IA
Plusieurs éléments nourrissent le scepticisme de Goldman Sachs. D’abord, les contraintes matérielles : la fabrication des semi-conducteurs, concentrée entre quelques acteurs comme TSMC, reste vulnérable à des goulets d’étranglement. Ensuite, la consommation énergétique colossale des centres de données pose la question de la soutenabilité à long terme. Enfin, la régulation pourrait venir freiner la course à l’IA, avec des normes plus strictes sur la protection des données, la transparence des modèles et l’impact environnemental.
Au-delà de ces obstacles, il y a la question fondamentale de la diffusion des gains. Si les premiers adoptants – banques, médias, santé, logistique – profitent déjà de gains mesurables, beaucoup d’autres secteurs restent à la traîne. Les PME, notamment, peinent à absorber le coût et la complexité des solutions IA. Sans une adoption généralisée, les effets macroéconomiques resteront limités.
L'euphorie de l'IA face à la réalité économique : personne ne paie la facture
Le signal d’alerte le plus tangible se lit dans les états financiers. Amazon et Oracle ont affiché deux trimestres consécutifs de flux de trésorerie libre négatif. Alphabet et Meta, malgré des revenus publicitaires toujours colossaux, voient eux aussi cette métrique essentielle s’éroder. Cela ne veut pas dire que ces entreprises sont déficitaires au sens classique, mais que leur capacité à générer du cash disponible pour financer de nouveaux investissements se réduit fortement.
En cause : les dépenses astronomiques pour soutenir l’IA. Construction de data centers énergivores, achat massif de GPU NVIDIA, salaires à sept chiffres pour les chercheurs en IA, acquisitions de startups stratégiques… L’équation est simple : l’argent sort, mais ne rentre pas encore.
Pour mémoire, le flux de trésorerie libre (ou Free Cash Flow - FCF) est la trésorerie qu'une entreprise génère après avoir couvert toutes ses dépenses opérationnelles et ses investissements nécessaires pour maintenir et développer son activité. C'est l'argent restant, disponible pour rembourser les dettes, verser des dividendes aux actionnaires ou investir dans de nouvelles opportunités, et il est un indicateur clé de la santé financière et de la flexibilité d'une entreprise. Un flux de trésorerie libre négatif signifie que les dépenses d'une entreprise sont supérieures aux liquidités générées par ses activités, ce qui peut résulter d'investissements importants, de surinvestissement, ou de l'incapacité à couvrir les dépenses d'exploitation et d'investissement. Bien que ce ne soit pas toujours négatif (ironiquement), une situation prolongée peut entraîner des difficultés financières, une nécessité de financement externe, et un risque de faillite.
Pourquoi cette dissonance entre promesse et réalité ? Parce que la plupart des grands acteurs ont choisi de proposer leurs outils IA en complément de services déjà existants, souvent sans facturation explicite.
Microsoft, par exemple, a intégré Copilot à Office 365 et GitHub, mais la part de clients payant spécifiquement pour l’IA reste floue. Google a ajouté des fonctionnalités génératives à Gmail ou Google Docs, mais l’usage massif repose toujours sur la gratuité. Meta mise sur l’IA pour alimenter ses algorithmes publicitaires, mais ne propose pas directement une offre IA monétisée à l’utilisateur.
Le marché se retrouve dans une situation paradoxale : l’IA coûte extrêmement cher à produire, mais elle est consommée comme si elle était gratuite, ou incluse dans des abonnements inchangés.
Flux de trésorerie libre sur les deux derniers trimestres
Un avertissement, pas une prophétie
Goldman Sachs ne prédit pas l’effondrement de l’IA. La banque reconnaît son potentiel considérable, capable de remodeler durablement la productivité mondiale. Mais elle insiste sur le besoin de tempérance : l’enthousiasme actuel pourrait être exagéré par rapport aux bénéfices à court terme. Pour les investisseurs, l’enseignement est clair : diversifier les portefeuilles, éviter une dépendance excessive aux valeurs technologiques et garder un œil sur les fondamentaux économiques plutôt que de céder à la fièvre spéculative.
Entre euphorie et maturité
L’IA se trouve à un carrefour. Soit elle continue de prouver sa valeur concrète au-delà de la hype, en s’implantant dans tous les secteurs de manière durable. Soit elle risque de connaître une phase de désillusion, qui pourrait faire trembler non seulement Wall Street mais aussi l’économie mondiale. Dans un monde où la finance est désormais indexée sur l’innovation technologique, l’avertissement de Goldman Sachs résonne comme un rappel salutaire : aucune révolution, même celle de l’intelligence artificielle, ne suit une courbe linéaire.
Source : Goldman Sachs
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