Malgré des retours financiers encore inégaux, les dirigeants d’entreprise ne relâchent pas la pression sur l’intelligence artificielle. Selon une enquête récente menée auprès de plus de 350 PDG de sociétés cotées, près de 68 % d’entre eux prévoient d’augmenter leurs dépenses en IA en 2026. Un pari assumé, alors même que moins de la moitié des projets en cours ont, à ce stade, généré davantage de valeur qu’ils n’ont coûté. Une dynamique que confirme le cabinet de conseil Teneo, décrivant une course à l’IA où la peur de décrocher l’emporte sur la prudence budgétaire.L’augmentation annoncée des budgets en 2026 pourrait constituer un point de bascule. Soit l’IA parvient à démontrer sa capacité à générer de la valeur à grande échelle, soit elle s’exposera à une remise en question plus brutale. Certains dirigeants commencent déjà à évoquer la nécessité de « faire le tri » entre projets prometteurs et initiatives purement opportunistes.
Selon une enquête annuelle menée par le cabinet de conseil Teneo auprès de plus de 350 dirigeants d’entreprises cotées, 68 % des PDG prévoient d’augmenter encore leurs dépenses en intelligence artificielle en 2026. Ce chiffre, en apparence spectaculaire, masque pourtant une réalité plus contrastée : moins de la moitié des projets d’IA actuellement déployés génèrent des retours financiers supérieurs à leur coût. Autrement dit, l’enthousiasme pour l’IA progresse plus vite que sa rentabilité démontrée.
Cette tension entre promesse technologique et performance économique réelle est devenue l’un des paradoxes centraux de la stratégie numérique des grandes entreprises.
Une conviction devenue quasi doctrinale au sommet des entreprises
Pour une majorité de PDG interrogés, l’IA n’est plus une option mais un passage obligé. Le discours dominant au sein des conseils d’administration repose sur une conviction forte : ne pas investir massivement aujourd’hui exposerait l’entreprise à un déclassement stratégique demain. L’IA est perçue comme une technologie de rupture comparable à l’électrification ou à l’informatisation, avec un potentiel de transformation globale des chaînes de valeur.
Cette vision explique pourquoi les arbitrages budgétaires continuent de pencher en faveur de l’IA, même lorsque les indicateurs de retour sur investissement restent mitigés. Dans de nombreux groupes, l’IA est désormais intégrée aux plans stratégiques pluriannuels, au même titre que la cybersécurité ou la transition cloud.
Des retours sur investissement encore largement incertains
Le constat dressé par l’enquête de Teneo est pourtant sans appel. Moins d’un projet d’IA sur deux a, à ce stade, généré plus de valeur qu’il n’a coûté. Ce décalage s’explique par plusieurs facteurs structurels.
D’abord, une grande partie des investissements est encore concentrée sur des phases exploratoires. Preuves de concept, pilotes internes, expérimentations métiers et projets de transformation des données consomment des budgets importants sans produire immédiatement de gains mesurables. L’IA reste souvent cantonnée à des usages périphériques, loin des processus cœur de métier.
Ensuite, les coûts réels de l’IA sont fréquemment sous-estimés. Au-delà des licences logicielles et des modèles, il faut intégrer l’infrastructure cloud, la montée en compétences des équipes, la gouvernance des données, la conformité réglementaire et la cybersécurité. Ces coûts indirects pèsent lourdement sur la rentabilité globale.
Des coûts souvent sous-estimés dans les plans initiaux
L’enquête met en lumière une réalité plus prosaïque : les coûts réels de l’IA dépassent fréquemment les prévisions. Infrastructure cloud, consommation énergétique, sécurisation des données, conformité réglementaire, recrutement de profils spécialisés et accompagnement du changement alourdissent considérablement la facture.
À cela s’ajoute un facteur organisationnel. Beaucoup d’entreprises découvrent que l’IA ne peut pas simplement se greffer sur des processus existants. Elle exige une refonte partielle des méthodes de travail, une meilleure qualité des données et une gouvernance plus rigoureuse. Ces transformations, longues et complexes, retardent mécaniquement l’apparition de retours sur investissement tangibles.
Une pression concurrentielle qui pousse à investir coûte que coûte
Malgré ces résultats mitigés, la pression concurrentielle joue un rôle déterminant dans la poursuite des investissements. Les PDG redoutent avant tout un scénario dans lequel un concurrent réussirait à industrialiser l’IA plus rapidement, captant ainsi des gains de productivité, une meilleure connaissance client ou un avantage décisif en matière d’innovation.
Dans ce contexte, l’IA est souvent abordée comme une assurance stratégique plutôt que comme un projet à rentabilité immédiate. Investir devient une manière de rester dans la course, même si les bénéfices sont différés ou incertains. Cette logique rappelle celle observée lors des premières vagues de transformation numérique, où de nombreuses entreprises ont investi massivement avant de trouver des modèles réellement performants.
De la fascination technologique à l’exigence de valeur métier
L’enquête met également en lumière une évolution progressive du discours des dirigeants. Si l’enthousiasme reste fort, il s’accompagne désormais d’une exigence accrue de résultats concrets. Les PDG interrogés reconnaissent de plus en plus la nécessité de recentrer les projets d’IA sur des cas d’usage clairement liés à la performance opérationnelle.
L’ère des expérimentations tous azimuts tend à céder la place à une approche plus sélective. Les PDG interrogés indiquent vouloir concentrer leurs efforts sur des cas d’usage directement liés à la performance économique, comme l’optimisation des opérations, la maintenance prédictive, la personnalisation commerciale ou l’automatisation de tâches à forte intensité humaine.
Cette inflexion se traduit par une attention accrue portée aux indicateurs de valeur. Réduction des coûts, amélioration des délais, augmentation des taux de conversion ou optimisation des chaînes logistiques deviennent des critères prioritaires. L’époque des projets d’IA lancés principalement pour des raisons d’image ou d’innovation perçue touche progressivement à sa fin.
L’IA n’est plus seulement un symbole d’innovation ou un argument de communication auprès des marchés financiers, mais un outil qui doit prouver sa contribution à des objectifs précis et mesurables.
Une maturité inégale selon les secteurs
La capacité à transformer l’IA en valeur économique varie fortement selon les secteurs. Les entreprises de la finance, de la technologie et de la distribution semblent plus avancées, bénéficiant de volumes de données importants et de processus déjà largement numérisés. À l’inverse, les secteurs industriels traditionnels ou fortement réglementés rencontrent davantage de difficultés à déployer l’IA à grande échelle.
Cette disparité explique en partie pourquoi les résultats globaux restent mitigés. Là où l’IA est intégrée à des processus bien définis, les gains sont tangibles. Là où les fondations numériques sont fragiles, les investissements produisent surtout de la complexité supplémentaire.
Vers un tournant en 2026 ?
Le fait que 68 % des PDG prévoient d’augmenter encore leurs dépenses en 2026 pourrait marquer un tournant décisif. Soit ces investissements permettront enfin de franchir le cap de l’industrialisation et de la création de valeur mesurable, soit ils renforceront les interrogations sur une possible bulle de l’IA au niveau des entreprises.
De plus en plus de dirigeants semblent conscients que la prochaine phase ne pourra plus se contenter de promesses. L’IA devra prouver sa capacité à transformer durablement les modèles économiques, sous peine de voir les budgets se réorienter vers des priorités jugées plus tangibles.
La patience des investisseurs, elle aussi, pourrait s’amenuiser. Tant que l’IA est présentée comme un investissement d’avenir, les marchés tolèrent des retours différés. Mais à mesure que les montants engagés augmentent, l’exigence de résultats concrets devient plus pressante.
Entre pari rationnel et risque de désillusion
La poursuite massive des investissements en IA, malgré des retours encore partiels, illustre une tension classique dans les grandes vagues technologiques. L’IA est à la fois un pari rationnel sur l’avenir et un risque financier réel à court et moyen terme.
Pour les PDG, l’enjeu n’est plus de savoir s’il faut investir, mais comment investir intelligemment. La capacité à transformer l’IA en levier opérationnel, et non en simple centre de coûts, déterminera quels groupes sortiront renforcés de cette phase d’expérimentation généralisée. Les autres pourraient découvrir, trop tard, que la course à l’IA ne pardonne pas les stratégies mal maîtrisées.
J.P. Morgan dénonce les dépenses consacrées à l'IA
Dans son rapport, le cabinet suggère que la croissance de l'IA ne sera pas constante et qu'elle pourrait connaître les mêmes difficultés que celles qui ont affecté le secteur des télécommunications lorsqu'il a commencé à mettre en place son infrastructure fibre optique. « Le chemin à parcourir ne sera pas simplement ascendant », indique le rapport. « Notre plus grande crainte...
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