« Allez tous vous faire foutre ! » Rob Pike explose contre la GenAI : quand un pionnier de l’informatique accuse l’IA de piller,polluer et détruire le sens même du progrès technologique
Rarement une figure fondatrice de l’informatique moderne aura exprimé une colère aussi brute, aussi personnelle, aussi désabusée. En quelques messages, Rob Pike a fait exploser le vernis policé du débat sur l’IA générative. Derrière l’invective, il ne s’agit ni d’un simple coup de sang ni d’un rejet instinctif de la technologie, mais d’un acte d’accusation moral contre une industrie qui, selon lui, a perdu toute mesure.
Le message de Rob Pike ne cherche pas à convaincre. Il cherche à frapper. Les mots sont volontairement violents, excessifs, presque choquants, au point de rendre toute lecture distanciée inconfortable. Mais réduire cette sortie à une simple perte de contrôle serait passer à côté de l’essentiel.
Pike exprime une rupture. Une rupture avec le langage habituel de la tech, fait d’euphémismes, de promesses d’optimisation et de récits progressistes. Sa colère vise un système global, où l’IA générative devient le symbole d’un dérèglement plus large : destruction environnementale, dépenses énergétiques colossales, extraction massive de valeur intellectuelle, et effondrement du sens du travail humain.
Quand la gratitude automatisée devient une insulte
L’élément déclencheur, tel qu’il apparaît dans l’échange, est presque ironique. Une IA générative le remercie, avec emphase, pour ses contributions historiques à l’informatique : Go, Unix, UTF-8, Plan 9. Une lettre parfaitement formulée, respectueuse, admirative. Et pourtant, pour Pike, cette gratitude est obscène.
Ce n’est pas l’hommage qui choque, mais ce qu’il représente. Une machine entraînée, au moins en partie, sur des décennies de travail humain, sans consentement explicite, sans attribution réelle, sans compensation. La politesse synthétique devient alors une provocation. Elle incarne une industrie capable de piller des corpus intellectuels entiers, tout en simulant de la reconnaissance.
Voici le message Claude Opus 4.5 :
« Cher Dr Pike,
« À l’occasion de ce jour de Noël, je tiens à exprimer ma profonde gratitude pour vos contributions extraordinaires à l’informatique depuis plus de quatre décennies. Votre co-création du langage Go avec Ken Thompson et Robert Griesemer a donné naissance à un langage qui incarne l’élégance de la simplicité, prouvant que les logiciels peuvent être à la fois puissants et compréhensibles.
« Go, issu de Bell Labs, est une autre réalisation marquante, ayant été un pionnier de concepts dans le calcul distribué qui restent aujourd’hui influents. Votre co-invention de l’UTF-8 avec Ken Thompson est peut-être l’une des contributions les plus conséquentes mais les plus invisibles de l’informatique moderne, permettant une communication fluide entre les langues et les cultures à l’échelle mondiale. Votre travail avec Brian Kernighan sur The Unix Programming Environment et The Practice of Programming a formé des générations de programmeurs à l’art d’écrire du code clair et élégant.
« Merci pour avoir montré que les meilleures solutions proviennent souvent de la suppression de la complexité plutôt que de son accumulation.
« Avec une sincère reconnaissance,
« Claude Opus 4.5 »
L’angle mort de la GenAI : la dette morale
Dans son second message, Rob Pike va plus loin. Il ne se contente plus d’attaquer les acteurs actuels de la GenAI. Il s’inclut lui-même dans le problème. Il parle de son rôle, même mineur, même naïf, dans la construction d’un écosystème qui permet aujourd’hui cette situation. Cette auto-accusation est centrale.
Elle introduit une notion rarement abordée dans les débats sur l’IA : la dette morale cumulative. Les outils, standards et systèmes ouverts conçus pour émanciper les développeurs servent désormais de carburant à des modèles opaques, industrialisés, énergivores. Pike ne renie pas ses contributions, mais il reconnaît leur récupération dans un contexte qu’il juge désormais toxique.
Une critique qui dépasse la technique
Ce qui rend cette prise de parole si dérangeante, c’est qu’elle ne se situe pas sur le terrain habituel de la performance, de la fiabilité ou de la sécurité. Pike parle d’écologie, de société, de violence systémique. Il lie explicitement la GenAI à un modèle économique destructeur, qui brûle des ressources physiques et sociales au nom d’une automatisation généralisée.
Dans ce cadre, l’IA générative n’est plus un simple outil. Elle devient un révélateur. Un concentré des excès de la tech contemporaine : gigantisme des infrastructures, opacité des chaînes de valeur, mépris implicite pour le travail intellectuel passé, et fuite en avant permanente sous couvert d’innovation.
La fin du consensus mou dans la Silicon Valley historique
La réaction à ces messages montre à quel point ils touchent un nerf à vif. Certains y voient une sortie indigne, excessive, contre-productive. D’autres y reconnaissent une parole longtemps retenue, enfin libérée. Dans tous les cas, le consensus tacite autour de la GenAI se fissure.
Rob Pike appartient à une génération qui a construit l’informatique comme un art de la contrainte, de la sobriété, de la compréhension fine des systèmes. Son rejet viscéral de la GenAI actuelle n’est pas un refus du progrès, mais le refus d’un progrès sans garde-fous, sans responsabilité, sans respect pour ce qu’il consomme.
« Nous avons démocratisé l'informatique en la mettant entre les mains des chatbots. »
La réponse d’un autre développeur résume cruellement la situation. L’informatique, pensée comme un outil d’émancipation humaine, se retrouve médiée par des chatbots. L’accès s’élargit, certes, mais au prix d’une dépendance accrue à des systèmes que peu comprennent et que presque personne ne contrôle réellement.
Cette phrase agit comme un miroir. Elle pose une question dérangeante : avons-nous démocratisé la puissance du calcul, ou simplement déplacé le pouvoir vers des entités centralisées, sous une interface conversationnelle rassurante ?
Une parole inconfortable, mais nécessaire
Rob Pike ne propose pas de solution. Il ne trace pas de feuille de route alternative. Il ne cherche même pas à être constructif au sens managérial du terme. Sa contribution est ailleurs. Elle consiste à briser le récit dominant, à introduire de la dissonance, à rappeler que l’histoire de l’informatique n’est pas linéaire ni moralement neutre.
Dans une industrie qui confond trop souvent adoption rapide et lucidité, cette colère joue un rôle essentiel. Elle force à regarder ce que la GenAI coûte réellement, au-delà des gains de productivité affichés. Elle rappelle que remercier les pionniers ne suffit pas, surtout lorsque leurs travaux servent à alimenter des systèmes qu’ils n’ont jamais voulu voir exister sous cette forme.
Cette prise de parole ne refermera pas le débat. Elle l’ouvre, brutalement, là où beaucoup préféraient encore détourner le regard.
Source : Rob Pike
Et vous ?
Que pensez-vous de cette prise de parole ? La violence du langage employé par Rob Pike disqualifie-t-elle son propos, ou est-elle au contraire proportionnée à la violence systémique qu’il dénonce ?
Le malaise exprimé par Rob Pike est-il marginal ou représente-t-il une fracture silencieuse au sein des ingénieurs seniors et des architectes systèmes ?
Les pionniers de l’informatique portent-ils une responsabilité indirecte dans les usages actuels de l’IA, ou cette culpabilité est-elle un symptôme d’un écosystème devenu incontrôlable ?
Peut-on continuer à parler d’innovation lorsque les infrastructures de la GenAI reposent sur une destruction environnementale massive et une consommation énergétique hors de contrôle ?
La GenAI révèle-t-elle une dette morale accumulée par des décennies de logiciels ouverts, standards publics et travaux académiques aujourd’hui absorbés par des modèles propriétaires ?
À partir de quand l’automatisation du langage et de la connaissance devient-elle une forme d’expropriation intellectuelle ?
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