Dans la nouvelle séquence politique américaine, l’intelligence artificielle n’est plus présentée comme une technologie parmi d’autres, mais comme un levier économique stratégique capable de redéfinir la trajectoire de croissance du pays. L’exécutif, sous l’impulsion directe de Donald Trump et de son entourage économique, assume une ligne claire : accélérer l’adoption de l’IA, maximiser son effet sur la productivité et la compétitivité, et relativiser, voire marginaliser, les discours alarmistes sur les risques sociaux, financiers et industriels. Une approche volontariste qui séduit les marchés, mais qui interroge de plus en plus les acteurs opérationnels de la tech.Contexte
La tonalité du discours présidentiel est sans ambiguïté. L’IA est désormais intégrée au narratif officiel de la croissance américaine, au même titre que l’énergie, l’industrie ou la défense. Elle est présentée comme un facteur de rattrapage économique, un moteur de création de valeur et un avantage comparatif décisif face à la Chine et à l’Europe.
Ce cadrage politique n’est pas neutre. En érigeant l’IA en pilier de la stratégie économique, la Maison-Blanche transforme une technologie encore immature, coûteuse et inégalement maîtrisée en symbole de prospérité nationale. Le message envoyé aux investisseurs est limpide : l’État ne sera pas un frein. Au contraire, il accompagnera, protégera et amplifiera la dynamique, même si cela implique de temporiser les débats sur la régulation, l’emploi ou la soutenabilité à long terme.
L’IA comme pilier central du récit économique
En novembre, lorsqu'on lui a demandé s'il craignait l'apparition d'une bulle qui pourrait nuire à l'économie si elle venait à éclater, le président Trump a balayé tous les doutes.
« Non », a-t-il rapidement répondu, « j'adore l'IA ».
Pour Trump, l'avènement d'une nouvelle ère informatique disruptive ne présente aucun risque, mais uniquement des avantages. Au cours de l'année écoulée, le président et ses principaux collaborateurs ont pleinement adopté l'IA et ont comblé ses principaux soutiens financiers et réglementaires, alors que l'administration cherche à dynamiser l'un des principaux secteurs de croissance d'une économie américaine par ailleurs précaire.
Cet optimisme s'est manifesté mardi, après que le gouvernement fédéral a annoncé que l'économie américaine avait connu une croissance annuelle de plus de 4 % au dernier trimestre. Kevin Hassett, directeur du Conseil économique national de la Maison Blanche, a déclaré à CNBC que ces nouvelles données indiquaient que le programme général du président fonctionnait, alors qu'il vantait les signes d'un « boom » de l'IA.
Le soutien inconditionnel de l'administration contraste fortement avec le ton plus prudent adopté par les économistes et même certains technologues de la Silicon Valley. Beaucoup s'interrogent encore sur le fait que l'IA pourrait entraîner des pertes d'emplois importantes, au moins temporairement, et s'inquiètent de la vitesse et des méthodes qui ont permis à l'industrie de se développer d'une manière qui pourrait ne pas être durable et risquer de provoquer un chaos financier.
La Maison Blanche a largement écarté bon nombre de ces préoccupations. Au contraire, Trump, qui considère depuis longtemps le marché boursier comme un baromètre de sa réussite économique, a courtisé et célébré la flambée des cours des actions des grandes entreprises technologiques telles que Nvidia. Le marché boursier a une nouvelle fois atteint un niveau record mardi, porté par les entreprises technologiques liées à l'intelligence artificielle.
Minimiser les risques pour préserver la confiance
L’un des points les plus marquants de cette ligne politique réside dans la manière dont les risques sont traités. Ils ne sont pas niés frontalement, mais systématiquement relativisés. Les inquiétudes sur une bulle spéculative sont renvoyées à des comparaisons jugées obsolètes avec l’ère dot-com. Les alertes sur les destructions d’emplois sont contrebalancées par un discours sur la création de nouveaux métiers, sans véritable calendrier ni plan massif de reconversion.
Ce choix est avant tout stratégique. Dans un contexte de marchés financiers hypersensibles au narratif, reconnaître publiquement des fragilités structurelles reviendrait à introduire du doute là où l’exécutif cherche à consolider un climat d’optimisme. L’IA devient alors un outil de stabilisation psychologique de l’économie, autant qu’un vecteur d’innovation réelle.
Il faut dire que cette position contraste fortement avec celle de son prédécesseur, qui a pris en 2023 des mesures pour étudier les risques liés à l'IA. À cette période, la Maison Blanche a indiqué qu'elle organiserait une session d'écoute avec les travailleurs pour comprendre leur expérience de l'utilisation par les employeurs de technologies automatisées pour la surveillance, le contrôle et l'évaluation. Cet appel devait inclure des experts du travail à la demande, des chercheurs et des décideurs politiques.
Des millions d'utilisateurs ont essayé des applications et des outils d'IA, qui selon leurs partisans peuvent établir des diagnostics médicaux, écrire des scénarios, créer des mémoires juridiques et déboguer des logiciels, ce qui a suscité des inquiétudes croissantes quant à la manière dont la technologie pourrait entraîner des violations de la vie privée, fausser les décisions en matière d'emploi et favoriser les escroqueries et les campagnes de désinformation.
Dans le cadre de son évaluation de la technologie, l'administration précédente a également annoncé de nouvelles mesures, notamment une feuille de route actualisée pour les investissements fédéraux dans la recherche sur l'IA, une demande de contribution publique sur les risques liés à l'IA et un nouveau rapport du ministère de l'éducation sur la manière dont l'IA affecte l'enseignement, l'apprentissage et la recherche.
La séance d'écoute et les nouvelles mesures ont fait suite à une réunion organisée le même mois (mai 2023) par l'ancien président Joe Biden avec les dirigeants des principales entreprises d'intelligence artificielle, notamment Microsoft et Google, propriété d'Alphabet.
Une économie portée par la promesse plus que par les résultats
Sur le terrain, toutefois, le décalage entre la vision de Trump et la réalité est palpable. Les investissements explosent, les annonces de data centers se multiplient, les budgets cloud et IA atteignent des niveaux inédits. Mais les retours sur investissement restent, dans de nombreux secteurs, difficiles à démontrer de manière rigoureuse.
Pour les directions informatiques et les équipes produit, l’IA ressemble moins à un miracle économique qu’à une accumulation de paris technologiques. Les coûts d’infrastructure, la dépendance à quelques fournisseurs dominants, la complexité de l’intégration dans des systèmes existants et les exigences croissantes en matière de sécurité et de conformité pèsent lourdement sur les feuilles de route.
La stratégie politique américaine repose ainsi sur une hypothèse implicite : les bénéfices finiront par rattraper les investissements. Or, cette temporalité incertaine constitue précisément le cœur du risque systémique que les discours officiels tendent à éclipser.
L’effet Trump : dérégulation assumée et signal fort aux Big Tech
Le positionnement de Donald Trump n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une tradition pro-business, marquée par une méfiance vis-à-vis des cadres réglementaires jugés contraignants. En matière d’IA, cela se traduit par une volonté de laisser les acteurs industriels avancer vite, quitte à corriger plus tard.
Ce choix bénéficie clairement aux grandes entreprises technologiques, déjà en position de force. Elles disposent du capital, des données, des talents et des infrastructures nécessaires pour absorber les coûts initiaux. Pour elles, la stratégie de la Maison-Blanche agit comme un accélérateur de domination, consolidant un oligopole technologique difficile à contester.
Pour les entreprises utilisatrices, en revanche, la situation est plus ambivalente. La pression à adopter l’IA devient à la fois économique et politique. Ne pas investir, c’est prendre le risque d’apparaître en retard. Investir trop vite, c’est s’exposer à des choix technologiques verrouillants et à des dépenses difficilement réversibles.
L’angle mort social : productivité contre stabilité
La question de l’emploi demeure le point le plus sensible. Officiellement, l’IA doit augmenter la productivité et libérer du temps pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. Dans la pratique, elle est aussi utilisée comme un outil de rationalisation, d’automatisation et de réduction des coûts.
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