Il y a un mois, la Quadrature du Net (LQDN) demandait à Matignon de mettre fin à l'usage abusif de son système d'identification automatique et massive des manifestants qui utilise illégalement la reconnaissance faciale. Jeudi, l’association – rejointe cette fois par 80 organisations qui ont signé une lettre ouverte – va plus loin dans son but de défendre les droits et libertés de la population à l’ère de l’Internet et des nouvelles technologies. Les organisations, collectifs, entreprises, associations et syndicats signataires appellent le gouvernement et le Parlement français à interdire toute utilisation actuelle et future de la reconnaissance faciale à des fins de sécurité et de surveillance.
La lettre commune reste toujours ouverte à d’autres signatures des organisations et des entreprises. Entre autres signataires, il y a l’Observatoire des Libertés et du Numérique, Abilian, ACAT France, Access Now, Mycélium, Numericatous, Ouvaton, etc. La grande diversité des organisations signataires de cette lettre montre à quel point la population condamne cette technologie, a observé LQDN dans son article qui a publié la lettre ouverte.
Selon la lettre ouverte, la technologie de reconnaissance faciale est déjà largement déployée en France. La technologie est déjà utilisée dans divers systèmes, depuis le système de passage automatisé rapide aux frontières extérieures (PARAFE) installé dans différents gares et aéroports en France depuis 2012, à la création de la base de données des antécédents judiciaires, selon la lettre. L’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale s’étend également à la police civile et militaire qui peut l’utiliser sur les images captées dans la rue par les caméras de surveillance ou issues des médias sociaux. Et d'autres expériences d’application serait déjà en cours ou prévues.
Le déploiement continu des systèmes de reconnaissance faciale sans prêter attention à leurs conséquences possibles sur nos libertés
Selon LQDN, malgré de nombreux systèmes déjà installés, de nombreux acteurs publics et privés veulent aller plus loin dans le déploiement. « Enfermés dans le fantasme d'un développement technique inéluctable et poussant des arguments économiques et sécuritaires étroits, ils veulent accélérer et simplifier le déploiement de ces systèmes, quelles que soient les conséquences possibles sur nos libertés et notre modèle de société », disent les organisations dans la lettre.
« La reconnaissance faciale est une technologie unique, invasive et déshumanisante, qui permet, tôt ou tard, une surveillance constante de l'espace public. Elle crée une société dans laquelle nous sommes tous suspects. Elle transforme notre visage en un dispositif de repérage, plutôt qu'en un signifiant de la personnalité, le réduisant éventuellement à un objet technique. Il permet un contrôle invisible. Il établit un régime d'identification permanent et incontournable. Il élimine l'anonymat », lit-on également.
Ce n’est pas seulement en France que les associations combattent la reconnaissance faciale pour la sécurité et la surveillance
En mai 2018, l’ACLU, une association à but non lucratif de défense des droits numériques, accompagnée par plus de deux douzaines d'autres organisations du même type, a demandé à Amazon de cesser de vendre son système de reconnaissance d'image à la police. Pour ces associations, « Amazon Rekognition est susceptible de connaître des abus entre les mains des gouvernements ».
Amazon avait à l’époque expliqué, lorsqu’il mettait Rekognition, sa technologie de reconnaissance faciale, à la disposition des forces de l’ordre, que sa technologie permettrait de faciliter les enquêtes criminelles en reconnaissant des suspects dans des photos et des vidéos. Mais après avoir conduit ses propres tests (ACLU) sur le système, il s’est avéré que Rekognition a identifié 28 membres du Congrès américain comme étant des criminels.
En mai dernier, San Francisco est devenue la première grande ville à interdire l'utilisation de la reconnaissance faciale par les agences gouvernementales locales. Le texte de la ville exige également que les agences municipales obtiennent l'approbation de la ville avant de faire l'acquisition d'autres types de technologies de surveillance comme les lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation et les drones avec caméras. Avant l’adoption du texte, des policiers ont tenté d'empêcher San Francisco d'interdire la surveillance par reconnaissance faciale.
Ailleurs dans d’autres pays, les populations et les groupes de défense mènent la même lutte. Dans une de ses publications parues au mois de mai 2018, The Independent a fait état de ce que l’IA utilisée par les forces de police anglaises a rapporté des faux positifs dans 98 % des cas, bien que les responsables de la police se soient défendus en soutenant que l’IA est assistée par les officiers de police. En juillet dernier, un rapport indépendant a révélé au média britannique Sky News qu’environ 81 % des suspects signalés par la technologie de reconnaissance faciale de la police du Grand Londres seraient en effet innocents.
En Chine, la reconnaissance faciale est utilisée pour chasser les voleurs de papier toilette, ou surveiller les étudiants dilettantes. La reconnaissance faciale est aussi utilisée dans la police pour renforcer l’arsenal de surveillance existante. Elle a permis à la police chinoise d’arrêter un fugitif recherché pour des crimes dans le sud-est du pays, en 2018, après l'avoir repéré dans une foule de cinquante à soixante mille (60 000) personnes assistant à un concert de musique pop. Mais le système de surveillance routière d’IA a aussi classé un célèbre CEO comme un piéton qui a grillé le feu rouge dans la province de Zhejiang.
Interdire la reconnaissance faciale de sécurité et de surveillance maintenant et à l'avenir
Selon la lettre de LQDN, aucun argument ne peut justifier le déploiement de la technologie de reconnaissance faciale. Selon l’association, au-delà de son utilisation pour se connecter en ligne ou déverrouiller son téléphone – plutôt que d’utiliser un mot de passe –, les seules autres utilisations efficaces consistent à remettre la technologie entre les mains de l'État pour exercer un pouvoir de contrôle total sur sa population, avec des risques d’être tenté d'en abuser contre ses opposants politiques et certaines populations.
« C'est pourquoi nous vous demandons d'interdire toute utilisation de la reconnaissance faciale à des fins de sécurité et de surveillance. De telles interdictions ont déjà été décidées dans plusieurs villes des États-Unis. La France et l'Union européenne doivent aller plus loin et, dans le respect du règlement général sur la protection des données, construire un modèle européen respectueux des libertés de ses citoyens. Il faudra également renforcer les exigences en matière de protection des données personnelles et limiter les autres usages de la reconnaissance faciale. Que ce soit à des fins d'authentification ou d'identification privées, ces systèmes n'offrent pas, dans l'ensemble, une protection suffisante de la vie privée, et ils préparent et normalisent une société de surveillance de masse », ont dit les cosignataires de la lettre ouverte.
En Chine, la police chinoise utilise désormais une caméra basée sur l'IA et des analyses raciales pour suivre les Ouïghours, une minorité ethnique vivant à Xinjiang, et les distinguer de la majorité Han, selon un récent rapport d’IPVM, une autorité mondiale en matière de vidéosurveillance. La caméra utilisée par la police est « Capable d'analyser le sexe, l'origine ethnique et la couleur de la peau de la cible, si la personne porte des lunettes, des masques, des casquettes ou une barbe, avec un taux de précision non inférieur à 90% », a dit Hikvision qui commercialise la camera.
La quadrature du Net et les autres organisations sont lancées dans une lutte contre l’utilisation des systèmes de reconnaissance faciale dans la sécurité et la surveillance, tout comme d’autres organisations dans plusieurs autres pays. Mais avec l’évolution de cette technologie, qui se retrouve entre les mains des gouvernements et les sociétés privées, on est tenté de se demander si le respect de la vie privée est encore possible.
Source : LQDN
Et vous ?
Que pensez-vous de la demande de LQDN et les autres organisations ?
Parviendront-ils à faire cesser l’utilisation de la reconnaissance faciale de sécurité et de surveillance en France ?
Pensez-vous que les gouvernements renonceront-ils à l’utilisation de la reconnaissance faciale de sécurité et surveillance – pour lutter contre les crimes – au profit de la vie privée ?
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Le , par Stan Adkens
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