À l’heure où tous les outils de travail deviennent numériques, la cybersurveillance ne cesse d’étendre son emprise sur les rapports productifs et au-delà, sur l’ensemble des rapports humains. Les dernières actualités sur la cybersurveillance des salariés en milieu professionnel laissent penser que le développement des nouvelles technologies a contribué à une perméabilité des frontières entre vie professionnelle et vie privée.
Notons que, la cybersurveillance peut être définie comme tout moyen de contrôle technique, sur une personne ou un processus, lié aux nouvelles technologies et plus particulièrement aux réseaux numériques de communication. En d’autres termes, la cybersurveillance regroupe les voies et moyens aboutissant à l’accès des données ou signaux transmis par voie électronique ainsi que le contrôle des moyens techniques permettant ces transmissions. Techniquement, elle se fait au moyen de logiciels de surveillance permettant d’enregistrer tous les évènements ou messages survenus pendant un temps donné et à un endroit déterminé.
L’employé prénommé Vic, qui a demandé à n'utiliser que son prénom « par crainte de représailles », dit avoir vu les politiques d'Amazon changer pour inclure des moyens de surveillance de plus en plus actifs. Au début, c'était l'application Mentor d'Amazon qui surveillait constamment sa conduite, l'utilisation de son téléphone et sa localisation, générant un score permettant à ses responsables d'évaluer ses performances sur la route. « Si on passait sur une bosse, le téléphone s'entrechoquait, l'application Mentor enregistrait le fait que j'utilisais le téléphone pendant que je conduisais, et boum, j'étais ramené à l’ordre », a-t-il dit.
Ensuite, l'entreprise voulait des photos de lui au début de chaque service sur une autre application, a-t-il raconté à la fondation. Mais le point de rupture est survenu lorsqu'Amazon a annoncé qu'elle allait installer des caméras d’intelligence artificielle dans sa flotte de véhicules. « Je m'étais déjà connecté avec ma carte au début de mon service, et maintenant, ils veulent une photo ? C'était trop », a-t-il déclaré.
L'indignité ultime a été la décision d'Amazon d'installer dans les véhicules de livraison une caméra à quatre lentilles, alimentée par l'intelligence artificielle, qui enregistrerait et analyserait son visage et son corps pendant toute la durée du service. Vic a donné son préavis de deux semaines et a démissionné, avant la date limite du 23 mars à laquelle tous les travailleurs de son centre de distribution de Denver devraient signer des formulaires de décharge autorisant Amazon à les filmer et à collecter et stocker leurs informations biométriques.
Dans la plupart des entreprises, les employeurs gardent un œil attentif sur l’activité de leurs employés. Contrôles continus ou aléatoires, partout quelque chose ou quelqu’un surveille ce que vous faites. Comme le soulignait déjà le professeur de management, Philippe Silberzahn, sur la scène de Lift, la plupart des directeurs sont formés avant tout à contrôler les autres et 30 % à 50 % de leur temps est dédié à cette activité de monitoring. Mais si ce contrôle est censé empêcher les salariés de faire « quelque chose de mal », ne les empêchent-ils pas de faire « quelque chose de bien ? »
Selon certaines sources, Amazon équiperait tous ses véhicules de livraison de systèmes de caméras prenant en charge la technologie d’intelligence artificielle appelés Driveri, fabriqués par une société appelée Netradyne. Les caméras sont toujours allumées et analysent le langage corporel des conducteurs, la vitesse du véhicule et même la somnolence. Le système utilise ensuite des "alertes verbales automatisées" pour informer les conducteurs d'une éventuelle infraction.
Lorsqu'Amazon a annoncé ce changement de politique et donné à ses chauffeurs un délai pour accepter les protocoles de surveillance, Vic a indiqué qu'il avait fait le choix de donner son préavis. « C'était à la fois une violation de la vie privée et un abus de confiance », a-t-il déclaré. Il a également déclaré que le fait que l'entreprise exige des chauffeurs qu'ils acceptent une surveillance constante pour pouvoir faire leur travail ressemblait à « une sorte de coercition ».
Pour Amazon, l’adoption des systèmes de caméra fabriqués par l'entreprise américaine Netradyne, fait partie d'un effort national pour répondre aux préoccupations concernant les accidents de plus en plus nombreux impliquant ses camionnettes de livraison. Une porte-parole d'Amazon a déclaré que la société « investit dans la sécurité de l'ensemble de ses opérations et a récemment commencé à déployer une technologie de sécurité basée sur des caméras, à la pointe de l'industrie, dans l'ensemble de sa flotte de livraisons. Cette technologie fournira aux conducteurs des alertes en temps réel pour les aider à rester en sécurité lorsqu'ils sont sur la route ».
Amazon n'a pas répondu aux questions sur les préoccupations relatives à la vie privée soulevées par les conducteurs ni fourni d'informations supplémentaires sur les personnes avec lesquelles elle partagerait les données des conducteurs. Albert Fox Cahn, qui dirige le Surveillance Technology Oversight Project, une organisation de défense de la vie privée a souligné que les caméras Amazon faisaient partie d'une nouvelle tendance inquiétante. « À mesure que les caméras deviennent moins chères et que l'intelligence artificielle devient plus puissante, ces systèmes de suivi invasifs deviennent de plus en plus la norme », a-t-il déclaré.
Le développement des technologies de contrôle semble soulever un certain nombre de questions relatives notamment au respect de la vie privée, à la liberté et à la protection des données à caractère personnel. Le 2 mars, Vic et certains de ces collègues ont reçu une notification dans leur application Amazon Flex les informant qu'il devait désormais signer un formulaire de consentement pour permettre à Amazon de le filmer au travail, puisque des caméras allaient être installées dans toutes les camionnettes. Lorsque Vic, chauffeur camion chez Amazon, a lu les documents, il a été troublé de lire qu'Amazon se réservait le droit de « partager les informations... avec des prestataires de services tiers » et des « affiliés du groupe Amazon ».
Selon Fox Cahn, expert en confidentialité, « ces politiques semblent avoir été rédigées par des avocats avec des honoraires coûteux dans le seul but de protéger les résultats d'Amazon et non la vie privée de ses employés ». « La façon dont elles sont rédigées réserve essentiellement à Amazon le droit de faire à peu près tout ce qu'il veut avec ces données ». Ces politiques ont également attiré l'attention des législateurs américains.
Dans une lettre adressée à Amazon le 5 septembre 2019, le sénateur Ed Markey du Massachusetts avait interpellé Jeffrey Bezos sur les inquiétudes quant aux conséquences des caméras sur la vie privée. Il a également demandé à Amazon d'identifier tous les tiers avec lesquels Amazon aurait partagé ou prévoit de partager leurs images. « Protéger la sécurité sur nos routes est vital, mais protéger les droits des travailleurs l'est tout autant », a-t-il déclaré. « Le système de surveillance qu'Amazon déploie dans sa flotte de véhicules soulève de sérieuses inquiétudes concernant la vie privée des travailleurs ».
Bien qu'Amazon présente l’une de ces technologies, notamment Ring, comme quelque chose de bien, le sénateur Markey estime pour sa part que, « la technologie capture et stocke les vidéos de millions de foyers et filme d'innombrables passants qui ne savent peut-être pas qu'ils sont filmés », « Je suis particulièrement alarmé d'apprendre que Ring poursuit une technologie de reconnaissance faciale avec le potentiel de signaler certaines personnes comme suspectes en fonction de leurs informations biométriques ». Le sénateur Markey n'a pas hésité à demander des explications supplémentaires à Amazon :
- quelles sont toutes les entités chargées de faire respecter la loi y compris les services de police locaux et les agences fédérales qui ont eu ou ont actuellement accès aux séquences vidéo des produits Ring ? Veuillez fournir une copie d'un accord standard de partage de séquences vidéo entre Ring et un service de police local ;
- Ring interdit-elle aux partenaires des services de police ayant accès aux séquences des utilisateurs de partager ces séquences avec d'autres entités ? Si non, pourquoi ? Ring a-t-elle connaissance de cas pour lesquels les partenaires des services de police ont partagé les séquences des utilisateurs avec des tiers ? Dans l'affirmative, veuillez décrire en détail tous ces cas ;
- Ring s'engagera-t-elle à revoir ses invites de consentement pour le partage de séquences vidéo en consultation avec des experts et à effectuer toutes les révisions nécessaires pour s'assurer que Ring n'utilise pas un langage manipulateur ou coercitif avec ses utilisateurs ?
- Ring exige-t-elle des services de police partenaires qu'ils mettent en place des mesures de sécurité afin de garantir que les séquences Ring auxquelles ils ont accès ne soient pas violées ou que des entités non autorisées n'y aient pas accès ? Dans l'affirmative, veuillez décrire ces exigences de sécurité. Si non, pourquoi ?
- Ring a-t-elle consulté des experts en matière de libertés civiles, de justice pénale et d'autres domaines pertinents pour procéder à un examen de ses sonnettes connectées à Internet et de son réseau social, Neighbors, afin de s'assurer que ces offres ne présentent pas de menaces particulières pour les personnes de couleur ou d'autres populations ? Si non, pourquoi ? Dans l'affirmative, veuillez communiquer la liste des parties consultées ;
- Avez-vous prévu de coordonner l'utilisation par les forces de l'ordre du produit Rekognition d'Amazon avec les offres de reconnaissance faciale à venir de Ring.
Sur les forums en ligne, des dizaines de personnes se sont plaintes des caméras d'Amazon.
Source : Thomson Reuters Foundation
Et vous ?
Selon vous, l'employeur devrait-il surveiller les candidats à l’embauche ou ses salariés ?
Que pensez-vous de la politique d’Amazon en matière de surveillance des employés ?
Voir aussi :
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