« Si une machine d'IA peut être créditée en tant qu'inventeur dans le cadre d'un brevet, les chats de compagnie pourraient être les prochains », a déclaré Stuart Baran devant la plus haute juridiction du Royaume-Uni, en réponse aux demandes de brevet reconnaissant des systèmes d'IA comme inventeurs. En effet, la Cour suprême du Royaume-Uni doit trancher une affaire très sensible qui oppose le fondateur d'Imagination Engines inc., Stephen Thaler, et l'Office britannique des brevets. Stephen Thaler souhaite se voir accorder deux brevets au Royaume-Uni pour des inventions qui, selon lui, ont été conçues par sa "machine créative" appelée DABUS.
Mais sa tentative d'enregistrement des brevets a été refusée au motif que l'inventeur doit être un être humain ou une entreprise, et non une machine. Stephen Thaler n'a réussi à obtenir ces brevets qu'en Australie et en Afrique du Sud. Il a ensuite contesté le rejet de ses demandes de brevet désignant son IA comme inventeur d'un récipient pour boisson et d'une lampe clignotante par l'Office britannique des brevets. Ainsi, l'affaire a été portée devant la Cour d'appel Royaume-Uni en 2021, mais cette dernière a conforté la position de l'Office britannique des brevets, expliquant qu'une IA ne peut pas être répertoriée comme inventeur sur un brevet.
« Un brevet est un droit statutaire et il ne peut être accordé qu'à une personne. Seule une personne peut avoir des droits. Une machine ne peut pas », affirme la Cour d'appel britannique. Mais insatisfait, Stephen Thaler a conduit l'affaire devant la Cour suprême du Royaume-Uni, dont la décision est très attendue et sera sans appel. La décision de la Cour suprême du Royaume-Uni peut être lourde de conséquences pour les technologies d'IA, qui sont devenues un sujet brûlant depuis le lancement de logiciels comme ChatGPT. Les demandes de brevet cherchant à créditer l'IA comme inventeur se seraient multipliées au cours de ces dernières années.
Cependant, pour l'Office britannique des brevets, la réponse est simplement non. « Permettre à une machine d'IA d'être désignée comme sur un brevet inventeur peut ouvrir la porte à des affirmations tout à fait ridicules. Si les juges se prononcent en faveur de Stephen Thaler, les inventeurs pourraient inclure "mon chat Felix" ou "les forces cosmiques" [à l'avenir] », a déclaré Stuart Baran dans des documents préparés dans le cadre de l'affaire. D'un autre côté, les avocats de Stephen Thaler notent que "la politique du Royaume-Uni consistant à interdire l'octroi de brevets pour les inventions générées par l'IA constitue un frein majeur à l'innovation".
Robert Jehan, un des avocats de Stephen Thaler, a déclaré à la Cour suprême de Londres que Stephen Thaler "peut prétendre aux droits des inventions de DABUS, car la législation britannique sur les brevets n'exige pas qu'une invention ait un inventeur humain pour être brevetable". Il a fait valoir dans des documents judiciaires que "le propriétaire d'un système d'IA a droit aux inventions générées par le système et à l'octroi de brevets pour ces inventions si elles sont brevetables". Il faut noter que les tentatives de Stephen Thaler de déposer des demandes similaires dans l'UE, aux États-Unis, en Australie et en Allemagne ont également été refusées.
Mark Marfé, avocat londonien spécialisé dans les brevets, qui n'est pas impliqué dans cette affaire, a déclaré que c'est la première fois que la question de savoir si les systèmes d'IA peuvent posséder et transférer des droits de brevet est examinée par une juridiction suprême. « En fin de compte, pour qu'une machine puisse être désignée comme inventeur sur un brevet, les lois sur les brevets devront être modifiées », a déclaré Mark Marfé dans une déclaration avant l'audience. Selon d'autres avocats spécialisés dans les brevets, ce débat devrait certainement gagner en intensité dans les prochaines années et divisera probablement les juridictions.
Stuart Baran a déclaré dans ses arguments écrits à la Cour suprême du Royaume-Uni que le gouvernement britannique avait récemment mené une consultation publique sur la façon dont les inventions créées par l'IA devraient être traitées dans le cadre du système de brevets britannique. Mais elle a ensuite décidé de ne pas modifier la loi. « Une modification de la loi ne peut intervenir qu'après des consultations internationales et par le biais du parlement, car cela pourrait aboutir à une situation particulière si le Royaume-Uni autorise l'IA à être un inventeur et que d'autres pays ne le font pas », a déclaré Stuart Baran lors de l'audience de jeudi.
L'Office britannique de la propriété intellectuelle a refusé de commenter l'affaire. Tout comme Stephen Thaler, certains experts estiment que l'IA devrait être reconnue comme un inventeur dans le droit des brevets. Alexandra George et Toby Walsh, respectivement professeurs de droit et d'IA à l'université de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, estiment que ne pas reconnaître les machines comme des inventeurs pourrait avoir des répercussions durables sur les économies et les sociétés. Selon eux, les gouvernements du monde entier devraient adopter des lois sur la propriété intellectuelle qui accordent des droits aux systèmes d'IA.
« Si les tribunaux et les gouvernements décident que les inventions créées par l'IA ne peuvent pas être brevetées, les implications pourraient être énormes. En fait, les bailleurs de fonds et les entreprises seraient de moins en moins incités à poursuivre des recherches utiles en faisant appel à des inventeurs d'IA lorsque le retour sur leur investissement pourrait être limité. La société pourrait passer à côté du développement d'inventions valables et permettant de sauver des vies », ont-ils écrit dans un article publié dans la revue Nature en mai de l'année dernière. Ils invitent à la mise en place d'un traité international sur la question.
À titre de rappel, la machine "DABUS" de Stephen Thaler est décrite comme une "IA connexionniste", c’est-à-dire qu'elle repose sur un système de plusieurs réseaux neuronaux capable de générer des idées en modifiant leurs interconnexions. Un second système de réseaux neuronaux analyse les conséquences critiques de ces idées et les renforce au regard des prédictions. Par ailleurs, il y a également un débat sur la question de savoir si l'IA peut être créditée comme un auteur. Par exemple, Springer Nature, le plus grand éditeur universitaire du monde, a affirmé que des systèmes d'IA tels que ChatGPT ne peuvent pas être crédités en tant qu'auteur.
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Que pensez-vous des arguments avancés par l'Office britannique des brevets pour justifier son refus dans cette affaire ?
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Voir aussi
La Cour d'appel britannique déclare qu'une IA ne peut pas être répertorié comme inventeur de brevet, estimant « qu'un brevet est un droit statutaire et il ne peut être accordé qu'à une personne »
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