
le journal accusé de sacrifier la rigueur éditoriale
Le Chicago Sun-Times a récemment fait polémique en publiant un supplément publicitaire présentant une liste de « lectures d’été 2025 » contenant au moins dix livres fictifs, inventés par une intelligence artificielle et faussement attribués à de vrais auteurs. Parmi ces titres fantômes figurent Tidewater Dreams d’Isabel Allende ou The Last Algorithm d’Andy Weir – des œuvres qui n’existent pas. Le responsable de cette liste, Marco Buscaglia, a reconnu avoir utilisé l’IA sans vérifier les références, qualifiant son erreur d’ « inacceptable ». Une vérification révèle que seulement cinq des quinze livres recommandés sont réels, les autres étant des confabulations typiques des modèles linguistiques comme ChatGPT.
Cet incident met en lumière les risques d’une automatisation mal contrôlée dans les médias, surtout dans un contexte de restrictions financières. Le Sun-Times, qui a licencié 20 % de son personnel quelques mois plus tôt, illustre une tendance inquiétante : sous couvert d’économies, des contenus générés par IA s’immiscent même dans des suppléments supposés légers, érodant la confiance des lecteurs. Si certains justifient cette dérive par la pression économique, le supplément était un "bouche-trou" national confié à un seul pigiste, d’autres, comme des abonnés furieux, y voient une trahison journalistique.
L’affaire pose une question cruciale : jusqu’où les rédactions peuvent-elles déléguer leur rôle de vérificateur sans sacrifier leur crédibilité ? Le texte ci-dessus détaille ce scandale, tout en rappelant que l’IA, si elle accélère la production, ne remplace pas l’exigence éditoriale. Le numéro du 18 mai du Chicago Sun-Times contient des dizaines de pages de recommandations d'activités estivales : nouvelles tendances, activités de plein air et livres à lire. Mais certaines des recommandations renvoient à de faux livres, générés par l'IA, et d'autres articles citent des personnes qui ne semblent pas exister.
À côté de livres réels comme Call Me By Your Name d'André Aciman, une liste de lectures d'été présente de faux titres d'auteurs réels. Min Jin Lee est une romancière réelle et reconnue, mais « Nightshade Market », « un récit captivant qui se déroule dans l'économie souterraine de Séoul », n'est pas l'un de ses ouvrages. Rebecca Makkai, une habitante de Chicago, est à l'origine d'un faux livre intitulé « Boiling Point » qui, selon l'article, raconte l'histoire d'une climatologue dont la fille adolescente se retourne contre elle.
Le Chicago Sun-Times victime de l’enshittification : des livres fictifs recommandés à ses lecteurs
Dans un message publié, le Sun-Times a déclaré qu'il « cherchait à comprendre comment cet article avait pu être imprimé », précisant qu'il ne s'agissait pas d'un contenu éditorial et qu'il n'avait pas été créé ou approuvé par la rédaction. Victor Lim, directeur principal du développement de l'audience, a ajouté dans un courriel qu'« il est inacceptable que le contenu que nous fournissons à nos lecteurs soit inexact », précisant que de plus amples informations seront bientôt fournies.
Il n'est pas clair si le contenu est sponsorisé, la page de couverture de la section porte le logo du Sun-Times et s'intitule simplement « Votre guide du meilleur de l'été ». Dans une déclaration publiée sur le site web du journal, le Sun-Times a déclaré que la section était « sous licence d'un partenaire de contenu national », identifié comme étant le conglomérat de médias Hearst. Le Sun-Times a déclaré qu'il retirait la section des éditions numériques et qu'il mettait à jour ses politiques afin que le contenu de tiers réponde aux normes du journal et soit plus clairement identifié.
La liste de livres apparaît sans signature, mais un écrivain nommé Marco Buscaglia est crédité pour d'autres articles dans le guide d'été. La signature de Buscaglia apparaît dans un article sur la culture du hamac aux États-Unis, qui cite plusieurs experts et publications, dont certains ne semblent pas réels. Il fait référence à un article de 2023 du magazine Outside écrit par Brianna Madia, un véritable auteur et blogueur, que je n'ai pas réussi à trouver.
L'article cite également une « analyse du marché de l'industrie du plein air » réalisée par Eagles Nest Outfitters, que je n'ai pas pu trouver en ligne. Jennifer Campos, professeur d'études sur les loisirs à l'université du Colorado », qui ne semble pas exister, est également citée. Buscaglia n'a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire, mais il a admis qu'il utilisait l'IA « parfois pour se documenter » et qu'il vérifiait toujours le matériel. « Cette fois-ci, je ne l'ai pas fait et je ne peux pas croire que je l'ai manqué parce que c'est tellement évident. Pas d'excuses », a-t-il déclaré. « C'est de ma faute à 100 % et je suis complètement gêné ».
Un autre article non crédité intitulé Tendances alimentaires estivales présente des experts similaires apparemment inexistants, dont le « Dr Catherine Furst, anthropologue alimentaire à l'université de Cornell ». Padma Lakshmi est également citée dans l'article pour une phrase qu'elle ne semble pas avoir prononcée.
Faut-il encore faire confiance aux médias qui utilisent l'IA sans contrôle ?
Les organes de presse ont à plusieurs reprises publié des contenus générés par l'IA à côté de leurs propres articles, en rejetant souvent la faute sur des créateurs de contenus tiers. Des incidents très médiatisés de contenu généré par l'IA chez Gannett et Sports Illustrated ont soulevé des questions sur le processus éditorial et, dans les deux cas, une société de marketing tierce était à l'origine de la « boue » générée par l'IA. La défense des rédactions est généralement de dire qu'elles n'ont rien à voir avec le contenu, mais l'apparition d'un travail généré par l'IA à côté de véritables reportages et écrits par des collaborateurs humains nuit tout de même à la confiance.
Le Chicago Sun-Times justifie également la publication d’un supplément contenant des livres fictifs générés par l’IA en invoquant une séparation stricte entre son cœur de métier, le journalisme local, et les contenus tiers qu’il intègre ponctuellement. Le journal souligne que cette section, produite par un pigiste externe via King Features, a échappé à son processus de validation habituel, tout en reconnaissant une négligence dans l’étiquetage de son origine. La rupture avec le pigiste et les regrets exprimés visent à restaurer la confiance, mais laissent en suspens des questions structurelles : comment un contenu aussi manifestement erroné a-t-il pu franchir toutes les étapes sans alerter quiconque ?
L’argument de la « transformation du journalisme » et des « défis commerciaux » sert ici à contextualiser, voire à relativiser, l’erreur, tout en réaffirmant l’engagement du média envers un journalisme « humain » et « crédible ». Pourtant, cet incident révèle une contradiction : si le Sun-Times insiste sur la valeur de son travail éditorial local, son recours à des partenaires externes pour certains contenus montre une logique de fragmentation, où la rigueur semble s’appliquer de façon sélective. L’aveu d’ « inacceptabilité » sonne comme un mea culpa obligé, mais ne masque pas entièrement les tensions entre ambitions journalistiques et réalités économiques, notamment après les récentes réductions d’effectifs. Enfin, l’accent mis sur la « leçon » à tirer pour l’industrie ressemble à une tentative de déplacer le débat vers un problème systémique, plutôt que d’assumer pleinement les failles internes. L’affaire illustre les risques d’une externalisation mal contrôlée, surtout dans un paysage médiatique fragilisé par les coupes budgétaires.
Faux livres, vrais problèmes : comment l'IA accélère l'enshittification des médias
L’incident du Chicago Sun-Times illustre une dérive préoccupante : celle d’une presse fragilisée économiquement, prête à sacrifier la rigueur éditoriale au nom de l’efficacité et des coûts réduits. Si l’erreur est humaine, le pigiste Marco Buscaglia reconnaît avoir négligé de vérifier les titres, elle révèle surtout un système défaillant. Comment un contenu aussi manifestement erroné a-t-il pu passer à travers les mailles d’un média qui se revendique comme une référence locale ? La réponse semble résider dans les coupes budgétaires drastiques (20 % des effectifs supprimés quelques mois plus tôt) et l’externalisation croissante de contenus jugés secondaires.
Au-delà de l’anecdote, cet épisode soulève des questions plus larges sur l’utilisation des outils d’IA dans le journalisme. Les modèles linguistiques comme ChatGPT, capables de produire des confabulations plausibles, ne sont pas conçus pour distinguer le vrai du faux, mais pour générer des associations de mots probables. Leur intégration dans les rédactions, sans garde-fous suffisants, menace la crédibilité même des médias, déjà minée par la défiance du public. Pire, comme le suggèrent certains commentaires, cette automatisation pourrait entraîner une spirale infernale : si les IA s’alimentent entre elles en recyclant des informations non vérifiées, nous risquons de basculer dans un écosystème médiatique où le fact-checking deviendra impossible.
Enfin, l’affaire met en lumière une hypocrisie structurelle : les rédactions, tout en promettant de défendre un journalisme « humain », sous-traitent des pans entiers de leur production à des outils automatisés, souvent sans le signaler clairement aux lecteurs. Le supplément litigieux était un « bouche-trou » générique, mais il portait le nom du Sun-Times, brouillant la frontière entre contenu éditorial et publicitaire. Cette opacité alimente la crise de confiance que traversent les médias traditionnels, accusés, à raison, de privilégier le volume et la rentabilité sur la qualité.
L’IA n’est pas l’ennemi en soi, mais son utilisation irréfléchie dans un contexte de précarisation des médias aggrave leur déclin. Si les rédactions veulent survivre, elles doivent choisir : continuer à rogner sur l’éthique pour des gains à court terme, ou réinvestir dans un journalisme vérifié, transparent, et distinct de la production industrielle de contenus. Sans quoi, elles risquent de devenir aussi insignifiantes que les faux livres qu’elles promouvont par inadvertance.
Source : Chicago suntimes
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