
51 % d'amélioration pour les patients utilisant cette IA thérapeutique
L’étude publiée dans NEJM AI sur Therabot, un robot thérapeutique utilisant l’IA générative, affirme des résultats prometteurs : une réduction de 51 % des symptômes dépressifs, 31 % pour l’anxiété et 19 % pour les risques de troubles alimentaires chez les participants. Ces chiffres, comparables à ceux d’une thérapie humaine classique mais obtenus en moitié moins de temps, pourraient laisser croire à une révolution dans le traitement des troubles mentaux.
Pourtant, l’essai présente des lacunes méthodologiques notables, notamment l’absence d’un groupe témoin bénéficiant d’une thérapie humaine, ce qui empêche toute conclusion définitive sur la supériorité (ou même l’équivalence réelle) de l’IA. De plus, l’évaluation reposant sur l’auto-déclaration introduit un biais potentiel, tandis que la supervision étroite des interactions durant l’essai soulève des questions sur la faisabilité d’un déploiement à grande échelle.
Au-delà des résultats, cette étude met en lumière les défis éthiques et réglementaires que pose l’IA en santé mentale. Contrairement aux modèles commerciaux, souvent basés sur des LLM génériques peu adaptés (comme Meta Llama), Therabot a été entraîné sur des transcriptions de séances réelles et des protocoles validés. Cette rigueur contraste avec les nombreux chatbots thérapeutiques disponibles, qui, selon les auteurs eux-mêmes, opèrent dans une « zone grise » réglementaire, sans validation clinique ni garde-fous contre des réponses inappropriées (par exemple, encourager la perte de poids chez des patients souffrant d’anorexie).
Si l’IA peut effectivement pallier le manque d’accès aux soins, son utilisation non encadrée risque d’aggraver les inégalités, en détournant les patients vulnérables vers des solutions peu fiables, tandis que les systèmes de santé peinent à intégrer ces outils de manière sécurisée. L’étude de Therabot, bien que pionnière, rappelle ainsi que l’efficacité affichée en laboratoire ne suffit pas à légitimer une adoption précipitée dans la pratique clinique.
Therabot réduit de 51% les symptômes dépressifs en thérapie numérique
Une équipe de chercheurs en psychiatrie et psychologues de la Geisel School of Medicine du Dartmouth College a développé Therabot, un outil thérapeutique basé sur l'IA générative, dont les résultats ont été publiés le 27 mars dans NEJM AI, une revue spécialisée du New England Journal of Medicine. Alors que de nombreuses entreprises technologiques proposent déjà des solutions similaires en vantant leur accessibilité et leur coût réduit par rapport aux thérapies conventionnelles, cette étude apporte une validation scientifique rigoureuse à ce domaine émergent.
Les professionnels de santé mentale soulignent que moins de 50% des patients atteints de troubles psychologiques bénéficient d'un suivi thérapeutique, avec souvent des séances limitées à 45 minutes hebdomadaires. Pour remédier à cette situation, les chercheurs se heurtent à deux défis majeurs : le risque potentiel de conseils inappropriés de la part des robots thérapeutiques, et la difficulté à reproduire numériquement les dynamiques relationnelles essentielles au processus thérapeutique. Les approches traditionnelles, comme le système Eliza des années 1960 utilisant des réponses prédéfinies, se sont révélées trop limitées pour maintenir l'engagement des patients.
Face à ces limitations, l'équipe de Dartmouth a exploité les avancées des grands modèles de langage à partir de 2019. Leur première tentative, basée sur des échanges tirés de forums en ligne, a produit des résultats décevants - des réponses stéréotypées et peu pertinentes cliniquement. Cette expérience les a conduits à constituer une base de données unique à partir de milliers d'heures de transcriptions de véritables séances thérapeutiques, contrairement aux solutions commerciales qui s'appuient souvent sur des modèles génériques comme Llama de Meta.
Cette différence d'approche est cruciale, particulièrement pour des problématiques sensibles comme les troubles alimentaires. Comme le précise Nick Jacobson, professeur à Dartmouth et auteur principal de l'étude, "les chatbots conventionnels peuvent encourager des comportements dangereux comme la perte de poids chez des patients déjà en insuffisance pondérale, ce qu'un thérapeute humain éviterait ».
L'essai clinique de huit semaines mené auprès de 210 participants présentant des symptômes dépressifs, anxieux ou à risque de troubles alimentaires a révélé des améliorations significatives : réduction de 51% des symptômes dépressifs, 31% pour l'anxiété et 19% pour les préoccupations liées à l'image corporelle. Ces résultats, bien que basés sur l'auto-évaluation des patients, correspondent aux effets observés après 16 heures de thérapie conventionnelle, mais ont été obtenus en moitié moins de temps avec Therabot.
Jean-Christophe Bélisle-Pipon, expert en éthique médicale à l'Université Simon Fraser, tout en reconnaissant ces performances, met en garde contre une généralisation hâtive : "Ces résultats en conditions contrôlées ne garantissent pas une efficacité similaire en pratique courante". La question de la supervision se pose particulièrement, l'étude ayant nécessité un monitoring étroit des interactions, difficilement reproductible à grande échelle.
Interrogé sur l'industrie florissante des thérapies par IA, Jacobson exprime des réserves marquées : « La plupart de ces solutions n'utilisent pas de protocoles validés scientifiquement et manquent de supervision clinique ». Il souligne que ces outils devraient en théorie être réglementés par la FDA, mais que très peu répondraient actuellement aux exigences pour une autorisation officielle.
Bélisle-Pipon ajoute que sans intégration dans les systèmes de santé conventionnels et sans couverture assurantielle, ces technologies risquent de créer une fracture d'accès aux soins, poussant certains patients vers des chatbots grand public inadaptés. « Les gens se tourneront vers des solutions comme ChatGPT pour gérer leur santé mentale, avec tous les risques que cela comporte» , prévient-il.
Les psys face aux robots-soignants : adaptation ou extinction ?
La psychologie traditionnelle fait face à un tournant existentiel sous la pression des IA thérapeutiques sophistiquées comme Therabot. Ces outils, capables de gérer efficacement les troubles courants (anxiété légère, gestion du stress) grâce à des réponses immédiates et standardisées, remettent en question la nécessité d'une intervention humaine systématique. Pourtant, l'efficacité réelle de ces solutions dépend cruellement de leur ancrage dans des pratiques validées (TCC, données cliniques), ce que négligent la plupart des applications commerciales. Les facultés de psychologie, encore prisonnières de méthodes d'enseignement obsolètes, doivent urgemment intégrer la maîtrise des IA thérapeutiques et l'analyse critique de leurs outputs sous peine de devenir progressivement inadaptées aux besoins du marché.
La préférence croissante des patients pour les solutions algorithmiques - plus accessibles, moins coûteuses et disponibles en permanence - ne doit pas masquer leurs limites actuelles : risques de conseils inappropriés et absence de cadre éthique robuste. Plutôt que de céder à la tentation du tout-automatique, la profession doit se réinventer en développant des compétences hybrides. Les facultés ont ici un rôle crucial à jouer en créant des laboratoires de recherche appliquée pour former une nouvelle génération de psychologues capables de superviser, réguler et compléter ces outils technologiques. C'est à cette condition que la profession pourra éviter une marginalisation au profit des seules solutions automatisées.
L'avenir de la santé mentale ne réside pas dans une opposition stérile entre humains et machines, mais dans leur complémentarité organisée. Un modèle émergent pourrait voir les IA gérer les premiers niveaux de soins tout en orientant vers des thérapeutes humains pour les cas complexes - à condition que les systèmes de santé reconnaissent et valorisent cette synergie. Les facultés qui sauront anticiper cette évolution en intégrant pleinement les nouvelles technologies dans leur cursus deviendront les actrices clés de cette transition. À l'inverse, celles qui résisteront au changement risquent de se marginaliser, reproduisant le schéma observé dans d'autres secteurs où la technologie a créé une fracture entre services standardisés et prestations haut de gamme. L'enjeu dépasse la simple survie des institutions : il s'agit de préserver l'équilibre entre efficacité technologique et éthique thérapeutique.
Source : Dartmouth College
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