Fraîchement diplômée de l'université et nouvellement recrutée chez SpaceX, Sophia Jones fait partie de la cohorte de jeunes professionnels qui ont opté pour l'IA générative afin d'obtenir leurs portraits professionnels. Ces portraits sont des images numériques de visages humains créées ou améliorées par l'application de techniques d'IA exploitant des modèles d'apprentissage profond formés sur de vastes ensembles de données.
Grâce aux progrès de l'IA, les personnes telles que Mme Jones n'ont donc plus besoin d'investir dans du matériel sophistiqué ou de recourir aux services de photographes pour leurs clichés à usage professionnel. Les services de génération de portraits basés sur l'IA peuvent répondre à ce besoin et permettent, entre autres, d'améliorer les traits du visage, d'ajuster l'éclairage ou de retoucher les imperfections pour donner lieu à des clichés dignes d'un magazine.
Le recours aux services d'IA pour la génération de portraits relève d'une question de coût et d'accessibilité
Pour Sophia Jones, le recours aux portraits générés par l'IA est une question de commodité. Cette approche inventive, qu'elle a découverte sur TikTok où ces créations numériques ont acquis une popularité considérable, lui permet de modifier facilement des photos existantes pour s'adapter à toute une série d'activités personnelles. Aujourd'hui, Mme Jones a intégré ses portraits numériques à son profil LinkedIn, à ses brochures de remise de diplômes ainsi qu'aux documents sur son lieu de travail.
Jusqu'à présent, personne ne l'a remarqué, indique Mme Jones. "Je pense qu'il faudrait enquêter sérieusement et zoomer pour se rendre compte que ce n'est peut-être pas vraiment moi".
Par ailleurs, des considérations de coût et d'accessibilité entrent également en jeu lors du choix pour un service de génération de portraits basés sur l'IA. Se faire photographier par un professionnel peut en effet s'avérer onéreux et chronophage. Il est donc assez cohérent que certains utilisateurs soient séduits par l'idée de simplement télécharger des photos dans un générateur d'images pour ensuite récupérer des portraits professionnels au prix de quelques euros.
En pratique, le processus est tout aussi simple puisqu'il suffit aux utilisateurs de soumettre au moins une douzaine d'images d'eux-mêmes via un site web ou une application, puis de sélectionner le style ou l'esthétique qu'ils souhaitent à partir d'une variété d'exemples fournis. L'algorithme d'IA s'attèlera alors à appliquer ce style aux échantillons soumis et génèrera des portraits suffisamment soignés pour un usage professionnel.
Pour Grace White, étudiante en droit à l'université de l'Arkansas, le choix pour un tel service d'IA souligne l'importance des contraintes budgétaires dans ce domaine particulier. Après l'adoption de cette innovation technologique et le partage de son expérience sur TikTok, recueillant au passage plus de 50 millions de vues, Mme White a finalement opté pour un photographe professionnel. Toutefois, elle reconnait que les personnes dont les ressources financières sont plus limitées peuvent se tourner vers des alternatives comme l'IA en tant que moyen économique d'obtenir des portraits de qualité professionnelle.
"Je comprends les personnes qui ont un revenu plus faible et qui n'ont pas le budget nécessaire pour faire appel à un photographe", indique Grace White. "Je comprends qu'ils puissent chercher la voie de l'IA juste pour avoir une option moins chère pour des photos professionnelles."
Les générateurs de portraits basés sur l'IA peuvent introduire des biais et conduire à l'exclusion des individus sous-représentés
Bien que prometteurs, les services de photographie basés sur l'IA sont cependant loin d'être parfaits et il n'est pas rare que des utilisateurs signalent certains problèmes concernant les portraits obtenus à travers la technologie. Des problèmes de rendus sont souvent évoqués et peuvent se traduire par l'apparition de déformations corporelles (des doigts supplémentaires, une posture excessivement courbée ou des dents et des oreilles anormalement parfaites), par la décoloration du teint ou l'altération des traits du visage.
Le cas Rona Wang, une étudiante de troisième cycle dans un programme conjoint d'informatique du MIT et de Harvard, met en évidence un problème encore plus large. En ayant recours à un de ces services d'IA, elle a remarqué que certaines des fonctionnalités qu'elle avait ajoutées donnaient une représentation totalement erronée de sa personne.
"[L'IA] a rendu ma peau plus pâle et a enlevé les nuances de jaune. [...] L'effet global m'a fait ressembler à une personne blanche", a déclaré Mme Wang au Wall Street Journal, ajoutant qu'elle lui a également donné de grands yeux bleus alors qu'elle a les yeux bruns.
Ces préoccupations soulèvent ainsi des questions pertinentes sur les préjugés et l'inclusivité de l'IA. Comme le dit si bien Mme Wang, "lorsqu'il s'agit de l'IA et de ses préjugés, il est important que nous réfléchissions à qui est inclus et qui ne l'est pas".
was trying to get a linkedin profile photo with AI editing & this is what it gave me 🤨 pic.twitter.com/AZgWbhTs8Q
— Rona Wang (@ronawang) July 14, 2023
Pour Jordan Harrod, candidate au doctorat et figure emblématique sur YouTube pour ses explications concernant les mécanismes de l'IA, les problèmes rencontrés par les services de génération d'images basés sur l'IA proviennent souvent des ensembles de données utilisées pour former les algorithmes.
Selon Mme Harrod, certaines technologies d'IA acquièrent les styles préférés des utilisateurs et les appliquent "presque comme un filtre" sur les images. Pour apprendre ces styles, les algorithmes d'IA passent donc au crible de vastes ensembles de données afin de discerner des modèles, pour ensuite baser les résultats finaux sur ces motifs appris.
"La plupart des résultats proviennent simplement de la quantité de données d'entraînement qui représentent des éléments tels que les mains, les oreilles et les cheveux dans différentes configurations que l'on peut voir dans la vie réelle", précise Mme Harrod.
Le problème se pose alors lorsque ces ensembles de données sous-représentent ou représentent incorrectement certaines configurations spécifiques, résultant potentiellement à l'exclusion de certains utilisateurs ou à l'introduction de biais. Plusieurs utilisateurs ont d'ailleurs évoqué le fait que certains services de génération de portraits avaient du mal à représenter correctement les coiffures noires, altéraient par inadvertance l'apparence des sujets en les rendant plus minces ou modifiaient la couleur du teint d'un individu.
Lors d'une étude réalisée par Bloomberg sur le modèle d'IA générative Stable Diffusion, des biais déconcertants ont été mis en évidence dans le processus de génération d'image par cette technologie. Cette analyse a démontré que le modèle de Stability AI avait le potentiel d'exacerber les stéréotypes raciaux et de genre, créant ainsi une image biaisée du monde. En particulier, le modèle a surreprésenté les hommes au teint clair dans les emplois bien rémunérés (avocats, PDG, etc.) et a associé les femmes à la peau plus foncée aux professions avec des salaires plus modestes (employée de fast-food ou assistante sociale).
Des efforts seront encore nécessaires pour obtenir des systèmes d'IA plus inclusifs
Alors que la génération de portraits professionnels basée sur l'IA gagne en popularité auprès des jeunes en raison des multiples avantages qu'elle offre, il est important de noter qu'à l'état d'avancement actuel de l'IA, l'usage de cette technologie peut soulever certains problèmes.
Des efforts devront encore être déployés pour rectifier les biais existants dans les divers systèmes d'IA afin de favoriser des résultats plus équitables. Les données d'apprentissage nécessiteront ainsi d'être plus diversifiées, plus complètes et plus inclusives au fur et à mesure que la technologie progresse.
Finalement, des initiatives similaires aux modèles open source StableLM de Stability AI devront être encouragées pour atténuer la surreprésentation dans les ensembles de données, en permettant aux développeurs de former leurs modèles sur des données d'entraînement spécifiques aux pays et aux cultures qui les intéressent.
Sources : Wall Street Journal, Bloomberg
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Pensez-vous qu'une meilleure inclusivité dans les données d'entraînement des algorithmes d'IA permettra de contribuer à la réduction des biais dans ces systèmes de génération d'images ?
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